Quelques jours auparavant, le Pakistanais avait laissé son passeport auprès de l'administration soudanaise, rendant ainsi son départ encore plus compliqué.Mais dans sa cuisine, les placards étaient déjà presque vides: ce qui signifiait que rester chez lui l'était tout autant.
Pendant deux semaines, l'homme de 48 ans n'a cessé de contacter l'ambassade du Pakistan, pour être évacué.
Muni d'un permis spécial de voyage, il a finalement réussi à faire partie d'un groupe de 52 personnes fuyant le pays dimanche à bord du navire militaire saoudien HMS Al-Diriyah, direction la ville portuaire de Jeddah, en Arabie saoudite, depuis Port-Soudan (est).
"Je me sens très chanceux", confie-t-il à l'AFP, évoquant des journées "très effrayantes" pendant lesquelles il a assisté à de violents combats et bombardements dans la capitale.
Mais il se fait un sang d'encre pour ses amis restés sur place, dans un pays en proie à une impitoyable guerre de pouvoir entre l'armée du général Abdel Fattah al-Burhane et son numéro deux, le général Mohamed Hamdane Daglo, qui commande les Forces de soutien rapide (FSR), des paramilitaires particulièrement redoutés.
Le conflit a déjà fait 528 morts et 4.599 blessés --des chiffres officiels que nombreux analystes estiment largement sous-évalués.
"Je suis très inquiet pour mes amis, surtout ceux à Khartoum", raconte Hasan Faraj, sur le pont du navire."Je connais des personnes qui se sont réfugiées dans des endroits plus sûrs, mais (plus sûrs) jusqu'à quand?Personne ne le sait."
- "Perdre un pays" -
L'évacuation dimanche a été organisée par l'Arabie saoudite, dont la flotte a permis d'évacuer au total depuis le 15 avril environ 5.000 personnes de toutes les nationalités.
Dimanche, la cinquantaine de passagers a attendu dès l'aube pour embarquer sur le HMS Al-Diriyah, qui a accosté à Port-Soudan, quelque 850 km à l'est de Khartoum, avec des membres de la Marine et des forces spéciales saoudiennes.
Une fois à bord du navire long de 102 mètres, les évacués ont été accueillis avec des dates, du jus de fruit et du café.
Si certains n'ont emporté avec eux que des sacs plastiques plein d'habits froissés, d'autres, comme Hasan Faraj, sont parvenus à prendre avec eux plusieurs valises.
Le quadragénaire a même réussi à emmener un grand coquillage blanc et des pétales de hibiscus, souvenirs d'un séjour touristique à Port-Soudan qu'il avait effectué il y a quatre mois.
Non loin de lui, se tient Badriah al-Sayed, 55 ans, l'une des rares Soudanaises à faire partie des personnes évacuées.Son mari, lui, est de nationalité omanaise.
Début avril, le couple et leur fils s'étaient rendus au Soudan dans l'espoir de partager avec leurs proches le jeûne du ramadan et célébrer l'Aïd el-Fitr, fête qui marque la fin de ce mois sacré.
"Normalement, pendant l'Aïd, on donne des bonbons, mais pour cet Aïd, ils ont distribué des balles", regrette Badriah al-Sayed.
Pour atteindre Port-Soudan, la famille a dû, entre autres, marcher cinq heures sur une route impraticable pour les voitures.
Alors que s'éloignent les côtes soudanaises, Badriah al-Sayed a le coeur serré: impossible de chasser la sensation qu'elle "perd un pays".
- "Très douloureux" -
Mohammed Ali, un Pakistanais de 44 ans ayant passé les 13 dernières années à Khartoum, ressent la même chose.
Le professeur en ingénierie se félicite encore d'avoir laissé, il y a quelques mois, sa femme et ses enfants au Pakistan: ses filles devaient étudier en vue d'entrer au lycée.
Fuir Khartoum a été bien plus facile sans leur charge.Mais cette fuite n'en est pas moins amère.
"C'est très douloureux.Parce que, vous savez, mes enfants sont nés ici.Ils ont été scolarisés ici", raconte-t-il, les larmes aux yeux.
"Je reviens sans rien.J'ai tout laissé.Ma maison, tout.Tous les souvenirs."
Neuf heures plus tard, alors que le navire approche de Jeddah, Mohammed Ali a de nouveau le regard embué: cette fois parce qu'il sait qu'il va enfin retrouver sa famille.
"Cela fait des jours qu'ils m'attendent", dit-il.
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