Depuis le 26 juillet et le coup d'État au Niger qui a renversé le président Mohamed Bazoum, l'AFP a vérifié une quinzaine d'allégations trompeuses sur les réseaux sociaux, visant tantôt à décrédibiliser, tantôt à soutenir les militaires qui ont pris le pouvoir.
Parmi elles, des images d'amateur d'une manifestation en soutien à M. Bazoum, tenue au premier jour de la crise, ont été repartagées plusieurs fois sur X (ex-Twitter) et Facebook dans les jours qui ont suivi, laissant croire à tort que différentes marches ont été organisées par ses partisans.
Une autre vidéo virale prétend montrer le ministre des Finances du gouvernement déchu en larmes, sommé par les généraux de "rendre compte de l'argent volé" par le régime Bazoum.Sauf que la séquence, qui remonte à 2021, n'a rien à voir avec les événements aux Niger: on y voit un ancien ministre de la Justice remercier son mentor.
Le même procédé de décontextualisation est aussi utilisé par les internautes pour dénoncer des ingérences étrangères dans une région de plus en plus divisée, alors que règne l'incertitude sur une possible intervention militaire de la Communauté économique des États d'Afrique de l'Ouest (Cedeao) pour "rétablir l'ordre constitutionnel".
Photos à l'appui, les uns font état d'avions de chasse Rafale français atterrissant à Dakar en renfort de la Cedeao, perçue comme alliée des Occidentaux, d'autres annonçant l'arrivée du groupe paramilitaire russe Wagner ou de premiers contingents burkinabè au Niger.
- Relais pro-russes -
Après le Mali (2020, 2021) et le Burkina Faso (deux fois en 2022), le Niger est le troisième pays du Sahel à connaître un coup d'État en trois ans.Ces derniers, qui ont pris leurs distances avec l'ancienne puissance coloniale française à la faveur d'un rapprochement avec la Russie, ont affiché leur soutien à Niamey.
Pour Ikemesit Effiong, directeur de recherche du cabinet de conseil nigérian SBM Intelligence, la campagne de désinformation visant le Niger ne semble "pas particulièrement bien coordonnée ou gérée de manière centralisée".
Néanmoins, souligne-t-il, les soutiens des nouveaux maîtres du pays "ont largement amplifié la menace de conflit avec la Cedeao, en particulier avec le Nigeria, ainsi qu'avec la France (qui soutient ouvertement le bloc régional, ndlr) pour mobiliser en ligne et sur le terrain", dans une région "où les opinions anti-impérialistes et anti-occidentales sont populaires et faciles à vendre".
Selon les experts interrogés par l'AFP, les moyens mis en œuvre ressemblent en partie à ceux employés précédemment dans d'autres pays de la région.
C'est depuis Telegram ou WhatsApp que partent fréquemment les premières assertions, avant d'être partagées sur d'autres réseaux comme Facebook.
De plus, on retrouve aujourd'hui plusieurs acteurs ayant déjà propagé des infox sur le Mali et le Burkina Faso, connus pour leurs prises de positions pro-russes dans la région, et leur hostilité envers Paris.
- "Alliés de circonstance" -
C'est notamment le cas du Groupe panafricain pour le commerce et l'investissement (GPCI), agence de communication dirigée par Harouna Douamba, proche des sphères russes, à l'origine de nombreuses "interférences" propagées via un vaste réseau de faux sites de médias et pages Facebook, selon le collectif international d'enquête All Eyes on Wagner.
Le 10 août par exemple, l'une de ces pages baptisée INFOS DU FASO affirmait que la France préparait un "complot de déstabilisation" du Niger et armait des "terroristes".
Le GPCI, à travers "plusieurs sites suspects impliqués dans la désinformation, partageait des informations sur le Tchad ou le Nigeria et sur d'autres pays de la région" concernant une éventuelle intervention militaire au Niger ou la démission du président Bazoum, abonde auprès de l'AFP le fondateur du compte Casus Belli sur X (ex-Twitter), qui analyse et surveille les contenus suspects notamment en Afrique.
Afrique Média TV, partenaire du média d'Etat Russia Today et relais des actions du groupe Wagner sur le continent africain, participe elle aussi aux opérations de désinformation, selon cet analyste.
La chaîne a ainsi partagé le 9 août une vidéo qui prétendait montrer le président Bazoum, l'air décontracté après avoir signé sa démission, alors qu'il est séquestré chez lui depuis le 26 juillet.Ces images trompeuses ont été démenties par l'AFP.
Pour Maixent Somé, analyste financier burkinabè qui a mis en place un observatoire sur les réseaux sociaux, cette vague de désinformation est autant le fait d'acteurs locaux que d'influences étrangères."Il y avait un sentiment anti-français bien avant l'arrivée de la Russie", sur lequel ses réseaux ne font que capitaliser, dit-il à l'AFP.
De leur côté, les militants panafricanistes "se sont forgés en alliés de circonstance" de la Russie, notamment pour véhiculer un sentiment de rejet de la France, ajoute-il. Mais ils ont désormais "des agendas personnels", et notamment des ambitions politiques.
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