"On n'oubliera jamais ce jour à Derna", dit-elle à l'AFP en tentant de se remémorer comment son père a sauvé les sept membres de sa famille des flots qui ont envahi la maison il y a neuf jours.
Après le passage de la tempête Daniel, "il y avait des cadavres par terre, avec des voitures par-dessus", raconte-t-elle depuis son lit dans un hôpital de Benghazi, la grande ville de l'Est, à 300 kilomètres à l'ouest de Derna.
Sur sa couette blanche, une bande dessinée qu'elle tente parfois de feuilleter pour se changer les idées après le drame survenu dans son pays déjà ravagé par la violence depuis 2011 et la chute du dictateur Mouammar Kadhafi.
"C'est la première fois de ma vie que je vois quelque chose d'aussi énorme, même pendant la guerre, ce n'était pas aussi dur", poursuit-elle à voix basse.
- "Très rare" -
"Je suis fatiguée psychologiquement.Ma ville a complètement disparu, peut-être qu'elle sera reconstruite, mais les gens, eux, ne reviendront jamais", lâche-t-elle, sous le regard de sa mère, à son chevet depuis plusieurs jours.
Pour Fadwa El-Fartass, médecin-cheffe au Centre médical de Benghazi, après ces inondations qui ont fait des milliers de morts et de disparus, "les traumatismes psychologiques sont plus gros que les traumatismes physiques".
"Même les gens qui ne sont pas de Derna sont sous le choc, parce que ce genre d'événement est très rare en Libye", assure-t-elle à l'AFP.
Les autorités de l'Est du pays ont ouvert une enquête pour tenter de déterminer les circonstances qui ont mené à la rupture de deux barrages en amont de la ville de 100.000 habitants, provoquant une violente inondation qui a balayé des quartiers de Derna vers la Méditerranée, faisant des milliers de morts et de disparus.
Sur les télévisions locales, responsables et présentateurs soulignent la nécessité de faire du soutien psychologique aux habitants de Derna une priorité.
"Il n'y a pas que les enfants qui sont traumatisés", lançait dimanche soir le ministre de la Santé de l'Est de la Libye, Othman Abdeljalil, lors d'une conférence de presse à Derna: "Les adultes aussi doivent voir des spécialistes".
Les premiers jours, "certains rescapés ne pouvaient pas ou refusaient de parler, comme s'ils sortaient d'un mauvais rêve", témoigne Mme Fartass.
- "Tous une histoire" -
Mais cela n'a pas découragé l'équipe des assistants sociaux et psychologiques -- 26 femmes et deux hommes -- du Centre médical de Benghazi qui se relaie à leurs chevets.
Maintenant, affirme à l'AFP Fatma Baayo, qui dirige l'équipe, "on entre, on se présente et ils nous parlent aussitôt: ils ont besoin de quelqu'un qui les écoute".
"Ils racontent tous leur histoire: certains disent avoir entendu une énorme explosion, d'autres avoir couru avant d'être submergés, d'autres avoir sauvé leurs enfants", énumère-t-elle.
Face à eux, "il faut rester fort: si je faiblis devant un patient, il va s'effondrer, donc je dois tenir le coup pour qu'il sorte de la crise qu'il traverse", renchérit sa collègue Salma al-Zawi, 40 ans.
"On utilise tous les moyens pour les aider: on leur remonte le moral, on essaye d'alléger la douleur, on les aide à parler pour qu'ils pleurent et qu'ils fassent retomber la pression", explique-t-elle encore à l'AFP.
Et le soir venu, elle dit recharger ses batteries à la maison: "Je rentre chez moi et je vois mes six enfants en sécurité.Cela me rend heureuse parce que je sais qu'il y a beaucoup d'autres gens, notamment des enfants, qui souffrent dans mon pays."
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