En un demi-siècle, Abdel Fattah al-Sissi, entré à l'académie militaire en 1973, est le premier président qui ne tire pas sa légitimité d'une guerre contre le voisin israélien.
Mais lui aussi capitalise sur la "victoire d'octobre", un des piliers du roman national."Un jour de fierté et de dignité", célébrait-il en 2022, "démontrant la capacité des Egyptiens à surmonter les moments difficiles de l'histoire".
Un discours qui résonne particulièrement un an et plusieurs dévaluations plus tard parmi les 105 millions d'Egyptiens en pleine crise économique et alors que certains pointent du doigt la mainmise de l'armée sur les affaires.
En Egypte, les guerres ont permis aux militaires de se tailler la part du lion: un seul président n'était pas issu de leurs rangs, l'islamiste Mohamed Morsi, et il a été rapidement destitué par M. Sissi.
Dans les années 1970, Anouar el-Sadate, président durant la "guerre d'octobre" et signataire en 1979 du premier accord de paix arabe avec Israël, a gagné "une légitimité qui pouvait se substituer à celle de son prédécesseur Gamal Abdel Nasser, héros de la révolution de 1952" qui mit fin à la monarchie, explique à l'AFP Tewfik Aclimandos, du Centre égyptien d'études stratégiques.
- "Armée de victoire, armée de défaite" -
Les trois décennies suivantes, Hosni Moubarak se présentera en "héros d'une offensive aérienne" en octobre 1973, poursuit-il.
Mais "tout cela est très loin pour la nouvelle génération", souligne-t-il.Seuls "les gens qui ont vécu la guerre se souviennent de la peur et des contraintes de l'économie de guerre".
M. Sissi, lui, n'a pas combattu Israël.Sa guerre à lui, c'est celle contre le "terrorisme" après la destitution de Morsi, particulièrement dans le Sinaï.
Cette péninsule fut le cœur de la guerre de 1973: dans sa foulée, l'Egypte, alors phare du monde arabe et des Non-Alignés, a pu la sortir d'une décennie d'occupation israélienne et laver l'affront de 1967.
Cette année-là, Israël lamine l'aviation égyptienne et s'empare du Sinaï.Pour des générations entières, cette guerre éclair sonne le glas du nationalisme arabe et de son héraut, le très charismatique Nasser.
Mais le 6 octobre 1973, en franchissant le canal de Suez, les Egyptiens prennent par surprise les Israéliens en plein Yom Kippour, la fête juive du Grand Pardon.Au même moment, la Syrie et des alliés arabes attaquent depuis le plateau du Golan, toujours occupé aujourd'hui par Israël.
Mis en difficulté, Israël rebondit grâce à un intense pont aérien américain.
Pour Amr Choubaki, chercheur au Centre d'études politiques et stratégiques d'Al-Ahram, "l'armée est alors devenue une armée de victoire contrairement à l'armée de défaite de 1967".
Et elle a pu reprendre du terrain, au Sinaï, mais aussi dans l'arène diplomatique.
- Ennemi juré -
"A l'époque, l'Egypte quittait la sphère sécuritaire soviétique pour confirmer sa position dans la sphère sécuritaire occidentale", confirme H.A.Hellyer, du Royal United Services Institute.
Avec à la clé une aide militaire américaine qui cette année encore s'est élevée à 1,215 milliard de dollars.
Aujourd'hui, plus question de choisir un camp dans un "monde à différents pôles d'influence", affirme-t-il à l'AFP, Le Caire "ne veut pas s'aliéner la Russie, la Chine, l'Inde" tout en ménageant ses alliés américain, du Golfe ou occidentaux.
Quant au choix de faire la paix avec Israël, décrié par de nombreux pays arabes à l'époque, et l'une des raisons de l'assassinat de Sadate lui-même, il est désormais en vogue dans la région.La Jordanie, autre pays voisin d'Israël, l'a fait en 1994.
Et en 2020, les Emirats arabes unis, Bahreïn et le Maroc ont reconnu Israël avec les accords d'Abraham.Le Soudan, lui, s'est engagé sur cette voie avant de plonger dans le chaos.Et les signes de réchauffement avec l'Arabie saoudite se multiplient.
Pour M. Choubaki, "Sadate était parfaitement convaincu d'avoir fait le bon choix en signant la paix".
Il n'a toutefois jamais convaincu son propre peuple, qui voit toujours Israël comme un ennemi juré.
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