A 68 ans, "l'homme qui répare les femmes", son surnom hérité d'un documentaire qui lui a été consacré, s'est lancé lundi dans la bataille pour la présidentielle de décembre prochain.
Il y a cinq ans déjà, en honorant le gynécologue congolais pour son inlassable combat en faveur de milliers de victimes de violences sexuelles, les jurés du Nobel récompensaient aussi une voix parmi les plus sévères envers le régime du président d'alors, Joseph Kabila.
Après 18 ans de présidence, ce dernier a fini par remettre le pouvoir en janvier 2019 à Félix Tshisekedi, déclaré vainqueur d'une présidentielle au résultat encore contesté aujourd'hui.
Le président a donc changé, mais pas Denis Mukwege.
"Nous condamnons cette dérive liberticide du régime", déclarait par exemple le docteur début juillet sur X (ex-Twitter), à propos de la détention d'un opposant malade.
Avant d'attaquer le régime sur le terrain de la politique intérieure, il a plusieurs fois vilipendé sa diplomatie, lui reprochant notamment d'avoir fait appel à des armées d'Afrique de l'Est pour affronter la rébellion du M23 qui, avec le soutien du Rwanda selon de nombreuses sources, s'est emparé de vastes zones du Nord-Kivu.
Le 30 juin, jour anniversaire de l'indépendance, il estimait que 63 ans après, la RDC n'était "toujours pas un Etat réellement souverain" et appelait à une "révolution démocratique" pour "permettre l'émergence d'un véritable leadership".
En 2021, il déplorait aussi la promotion d'un ex-chef rebelle à la tête d'un programme de démobilisation des groupes armés.
L'impunité insupporte Denis Mukwege, qui réclame un tribunal international pour juger les crimes commis depuis près de 30 ans dans l'est congolais et plaide pour une "justice transitionnelle" pour panser les plaies des populations meurtries.
- "Fierté nationale" -
Par son combat pour la dignité des femmes, il est de fait devenu le porte-parole des millions de civils menacés par les exactions des groupes armés ou des grands délinquants du Kivu, région riche en minerais.
Fils de pasteur pentecôtiste, né le 1er mars 1955 dans ce qui est alors le Congo belge, Denis Mukwege fait ses études de médecine au Burundi voisin.En rentrant au pays, il exerce à l'hôpital de Lemera, au sud du chef-lieu du Sud-Kivu, Bukavu, où il découvre les souffrances des femmes qui, faute de soins appropriés, souffrent régulièrement de graves lésions génitales.
Il part alors suivre une spécialisation en gynécologie-obstétrique en France, à Angers (centre-ouest).Il retourne à Lemera en 1989 pour animer le service gynécologique et restera dans son pays durant ses heures les plus sombres.Lorsque la première guerre du Congo éclate, en 1996, l'établissement est totalement dévasté.
En 1999, le Dr Mukwege crée l'hôpital de Panzi à Bukavu.Conçu pour permettre aux femmes d'accoucher convenablement, le centre devient rapidement une "clinique du viol" à mesure que le Kivu sombre dans la deuxième guerre du Congo (1998-2003) et ses viols de masse.
Cette "guerre sur le corps des femmes" continue encore aujourd'hui et s'étend de plus en plus souvent aux enfants, voire aux nourrissons, constate-t-il amèrement.
Marié et père de cinq enfants, le Dr Mukwege, colosse débordant d'énergie, à la voix grave et douce, s'est lui-même retrouvé dans le viseur, échappant de peu un soir d'octobre 2012 à une tentative d'attentat.
Entre deux voyages à l'étranger, où il est souvent invité à donner des conférences, il vit dans sa fondation de Panzi, sous la protection de soldats de la Mission des Nations unies au Congo (Monusco).
Il a souvent été au coeur des tensions entre Kinshasa et Kigali.
En mai 2021, le président rwandais Paul Kagame, semblant mettre en doute les massacres perpétrés dans l'est de la RDC dans les années 1990-2000, l'accusait au passage d'être "un outil de forces que l'on ne voit pas".
Le Dr Mukwege "est une fierté nationale...Il a tout notre soutien", répliquait Félix Tshisekedi.
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