À quelques heures de son concert, ce jeudi 12 décembre, Senny Camara se tient debout, la kora posée sur sa cuisse, sur la scène où elle jouera des morceaux de son premier album. Sourire aux lèvres, l'air décontracté, elle se met à jouer quelques notes qui résonnent dans le Consulat, un centre culturel niché dans le XIe arrondissement de Paris.
Ses musiciens arrivent un par un et des techniciens s'occupent des installations et du décor. La chanteuse est également venue accompagnée de son fils et de son mari. Senny Camara, technicienne du son de profession, fait partie de ces rares joueuses de kora. "Avant nous, dans les années 80, des femmes jouaient de la kora, comme Sarah Mbodj, elle était la première au Sénégal, ou Madina Nidaye au Mali. Elles ont ouvert la voie”, tient-elle à rappeller.
"C'était rare que les femmes en jouent, mais ce n’était pas interdit non plus”
Selon la tradition mandingue, la kora, d'abord confiée par un chef de guerre à l'un de ses djélis (griots) après avoir été dérobée à une femme-génie, se transmettait ensuite de père en fils, chaque griot léguant l'instrument à son héritier avant de mourir.
Une raison qui a longtemps incité Senny Camara à ne pas jouer de cet instrument. "On nous disait que c’était un instrument pour les hommes, mais on ne nous expliquait pas pourquoi alors que c’est une femme qui a créé cet instrument”, raconte-t-elle. C'était rare que les femmes en jouent, mais ce n’était pas interdit non plus”
L’artiste découvre cet instrument dans son pays d’origine, le Sénégal. Elle est élevée par sa grand-mère à Tataguine, un village situé à quelques kilomètres au sud de Dakar. “J’ai entendu de la kora à la radio, à l’âge de 9 ans. C'était une musique de Soundioulou Cissokho et de son épouse Mahawa Kouyaté. Je me suis dit que c’était tellement beau que j’ai commencé à me renseigner”, explique-t-elle.
Cependant, elle ne s’imagine pas en jouer, car on lui a toujours dit que c’était réservé aux hommes. Ce n’est qu’à l’âge de 20 ans qu’elle commence à jouer de la kora. Mais dans son coin.
À cette même période, elle prend la direction de Dakar et intègre le conservatoire de musique où elle approfondit sa pratique de la kora. “Il y avait plus de femmes que d’hommes”, se rappelle Senny Camara. “Notre prof, qui était descendant de griot, était content que l’on joue. Et jusqu’à aujourd’hui, il continue de m’encourager”.
En 2002, elle arrive en France et arrête un temps la musique, ne trouvant pas de maître de kora. Elle croisera le chemin de Mamadou Cissoko, cofondateur de l'association Korafollart, quelques années plus tard et renouera avec “sa copine”.
Si sa carrière musicale commence à décoller, elle n'oublie pas les difficultés qui ont pu l'empêcher de pratiquer cet instrument. “Nous sommes des femmes, des mamans, on a notre travail à côté pour vivre parce que ça ne nous fait pas vivre, souligne-t-elle. Mais il y en a comme Jobarbeth qui arrivent à en vivre", ajoute la chanteuse.
“Dans notre culture griot, la femme chante et l’homme joue de la kora. C’est comme ça que ma maman et ma grand-mère faisaient, explique Mamadou Cissoko. Mais je vois aujourd’hui de plus en plus de femmes s’intéresser à la kora”, souligne-t-il avec enthousiasme. "Mais cela a toujours existé, seulement, elles n'étaient pas aussi connues que maintenant" ajoute-t-il. Avec son association, il donne des cours de kora le week-end.
“On a une certaine liberté qu’il n'y avait pas avant"
Samedi 7 décembre, une dizaine de personnes ont fait le déplacement jusqu'à Vitry-sur-Seine pour assister à l'un de ses stages. Parmi les élèves du jour, la majorité d'entre eux sont des femmes.
Founé Sow est l'une d'entre elles. Elle aussi rêve, comme Senny Camara, de vivre de sa passion. La chanteuse compositrice donne des concerts pour faire la promotion de son dernier album.
En parallèle de sa carrière, elle donne des cours de kora à des particuliers. Française d’origine sénégalo-malienne et burkinabè, elle a suivi un entraînement intensif au Sénégal. Elle remarque que depuis plusieurs années que les traditions liées à la transmission de la kora ont évolué. “On a une certaine liberté qu’il n'y avait pas avant et on a cette chance de pouvoir développer cet instrument et de s’épanouir avec, en tant que femme”, note-t-elle.
Mais sa passion pour la kora n'a pas été immédiatement acceptée par sa famille. “Ma mère ne voulait même pas que je fasse de la musique. Elle avait peur des côtés néfastes”, explique-t-elle.
Un problème également rencontré par sa camarade du jour, Moumy, une aide-soignante en pédopsychiatrie de 35 ans.
Depuis quatre ans qu’elle joue de la kora, son instrument la suit jusque sur son lieu de travail. “Même l’adolescent super excité qui a du mal à se canaliser, tu lui mets l'instrument entre les mains et étrangement il va vouloir se poser, chercher les notes, être attentif...C’est un instrument assez magique”, raconte-t-elle.
Si sa passion est mieux acceptée par sa famille, il y a toujours des barrières. “ Je suis une femme sénégalaise, pas mariée, sans enfants et le temps que je passe sur mon instrument, ils aimeraient que je le passe ailleurs”, explique-t-elle.
Comme Founé et Senny, la kora a une place particulière dans sa vie. Impossible de s’en séparer désormais. “Elle m’a sauvé la vie. Ça m’a apporté de la sérénité, un apaisement”.
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