Aujourd’hui, les réseaux sociaux nous offrent une quantité infinie de contenus, toujours plus ciblés, toujours plus personnalisés. Notre concentration s’est amoindrie, notre intérêt s’est éparpillé. Pour toucher le public, il faut alors une stratégie focalisée, avec une imagerie émotionnelle qui se rattache à notre identité.
Mais aussi un “effet de groupe”, le sentiment d’appartenir à un fantasme de majorité. Et ça, Gims et son équipe l’ont bien compris. Impossible d'écouter la radio sans entendre Spider, de circuler sans voir une affiche de concert ou de l'ignorer sur les réseaux sociaux. Une stratégie pensée dans le moindre détail.
Les chiffres, premier levier de légitimation
Dans l’économie de l’attention, la performance chiffrée est un argument de poids. Gims l’utilise pour construire un récit de domination :
- 16 millions d'auditeurs mensuels sur Spotify.
- Ninao parmi les 10 morceaux les plus Shazamés au MONDE.
- 8 titres classés dans le Top 50 Spotify France.
- Top Album en France, consolidant son statut d’incontournable.
Ces chiffres ne sont pas qu’un simple constat de succès, ils sont mis en avant pour produire un effet de preuve sociale. Comme le théorise Robert Cialdini dans Influence, les consommateurs ont tendance à se rallier à ce qui est déjà populaire. La viralité devient ici un moteur d’adhésion, et tout est fait pour que personne ne puisse ignorer l’emprise.
Mais la popularité n’est pas juste un indicateur de succès, c’est un signal social puissant. Si un titre explose, c’est qu’il doit être bon, non ? L’effet de masse crée une illusion de qualité : plus un son est écouté, plus il est perçu comme légitime. Ne pas suivre la tendance, c’est presque prendre le risque d’être exclu du grand récit collectif.
Le choix du sample : un storytelling transnational
Avec Ninao, le rappeur français est N°1 en Géorgie, avec une hausse de +150% des écoutes sur YouTube.
S'il cartonne en Géorgie, ce n’est pas un hasard. Ninao sample un chant folklorique géorgien, Gandagana, une référence profondément ancrée dans la culture locale. Ce choix stratégique s’apparente à une logique de résonance culturelle, où un artiste s’approprie des éléments symboliques pour créer un effet d’identification immédiat. Gims a travaillé chaque détail de ce morceau pour cibler un pays entier.
"C'est toujours un plaisir pour les Géorgiens de voir leur culture dépasser ses frontières. En Géorgie, 'Ninao' est devenu un phénomène viral, notamment parce que le joueur de foot Khvicha Kvaratskhelia (PSG) l'a utilisé sur ses vidéos d'entraînement", explique Mari Bolkvadze (Billboard Georgia). Une demande de l’équipe de Gims ? Ce n’est pas si sûr. Le calcul était tellement millimétré qu’ils l'avaient sûrement envisagé comme une conséquence logique.
Ce phénomène renvoie à la notion de glocalisation, théorisé par le sociologue britannique Robertson en 1995 : Gims adapte une esthétique, un sujet international (sa formule de rap dansant et populaire, qui a déjà fait ses preuves) à un référent culturel local, provoquant une double adhésion, nationale et internationale.
Le clip : une mise en scène du pouvoir symbolique
La communication ne se limite pas à l’audio et au marketing du chiffre : l’image tout entière joue un rôle clé. Le clip de Ninao est une véritable mise en scène du pouvoir symbolique, une notion inventée par Bourdieu, sociologue français. Comme un écho à l’omniprésence des chiffres, les images ancrent le rappeur comme “dominant” le public, l’industrie, et la musique tout entière.
- Un décor majestueux : tourné dans un château, il évoque un pouvoir aristocratique intemporel.
- 16 danseuses traditionnelles, soulignant à nouveau l’ancrage culturel du morceau.
- Un costume inspiré du royaume d’Urartu, réaffirmant une esthétique de grandeur et d’héritage historique.
- Un alphabet géorgien sur la cover, renforçant la connexion avec le public local.
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Tout est pensé pour que le spectateur soit plongé dans une narration visuelle cohérente, entre puissance et insistance - presque maladroite tant elle est omniprésente - sur l'ancrage local. Comme le souligne Roland Barthes dans sa fameuse Rhétorique de l’image, chaque détail devient un signe participant à un récit visuel où l’artiste s’affirme comme un acteur du dialogue entre cultures. Un pont, un dominant, un Maître.
Une prouesse symbolique : je l’ai fait en France, je l’ai fait dans le monde, et je peux même le faire dans un pays dont je ne connais rien. Une vraie démonstration de pouvoir. Ou de talent artistique ? Peut-être, si l’on pense le marketing comme partie intégrante d’une bonne direction artistique.
Gims, ou la maîtrise du récit globalisé
Avec ce projet, Gims ne fait pas que cartonner dans les charts, il s’inscrit dans une dynamique de transnationalisation de sa musique, pour laquelle il a une recette toute particulière. Il ne vend pas juste des morceaux, il construit une narration où le succès devient inéluctable. Cette approche relève du mythe moderne : une success-story soigneusement mise en scène, où chaque donnée, chaque visuel, chaque référence culturelle devient un élément d’un récit global, au service de la communication.
Prochaine étape de cette dramaturgie du succès : Paris La Défense Arena le 20 décembre. À ce stade, plus qu’un concert, c’est l’apothéose d’une stratégie implacable.
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