Alicia Knock, co-commissaire de l'exposition "Paris Noir" au Centre Pompidou : "C'est une exposition qui parle du passé et qui permet d'éclairer un peu mieux le présent"

Actus. L’exposition “Paris Noir”, ouvre ses portes ce mercredi 19 mars au Centre Pompidou à Paris. Elle retrace la présence et l’influence des artistes noirs en France entre 1950 et 2000 venant d’Afrique, des Amériques et des Caraïbes dont les œuvres ont rarement été montrées en France. Alicia Knock, co-commissaire de l'exposition était l'invitée de la matinale.

Alicia Knock, co-commissaire de l'exposition "Paris Noir" au Centre Pompidou  :  "C'est une exposition qui parle du passé et qui permet d'éclairer un peu mieux le présent"
Alicia Knock est co-commissaire de l'exposition "Paris Noir". - DR / Centre Pompidou

L'exposition Paris Noir ouvre ses portes ce mercredi 19 mars et jusqu'au 30 juin, au Centre Pompidou, à Paris. Elle retrace la présence et l'influence des artistes noirs en France entre 1950 et 2000, et met en lumière les œuvres de 150 artistes qui viennent d'Afrique, des Amériques, des Caraïbes et dont les œuvres ont été rarement montrés en France. Quels ont été les défis pour monter cette exposition ?

C'est une exposition qui est un défi en soi. D'abord, elle a vocation à être plus qu'une exposition, c'est une exposition de rattrapage patrimonial.  C'est-à-dire que ce sont non seulement des artistes qui n'ont pas été présentés dans des expositions au Centre Pompidou, mais ce sont aussi des artistes qui n'ont pas été collectionnés, acquis par les collections publiques françaises.

Dans cette perspective, notre enjeu, avec ce projet, est aussi une manière d'annoncer, on l'espère, la manière dont l'institution se repensera à la réouverture en 2030.

C'était aussi une campagne d'acquisition. On a essayé d'acquérir un certain nombre d'œuvres en amont du projet grâce au groupe d'acquisition Afrique au sein des Amis du Musée National d'Art Moderne. Et on a créé un fonds d'acquisition dédié, "Paris Noir", pour faire rentrer notamment certains artistes africain-américains et issus des Outremers français, qui était une lacune particulièrement criante au sein de la collection.

Cette exposition représente beaucoup de défis pour une institution, parce que c'est une exposition massive qui nous fait renouer avec nos grandes expositions des débuts du Centre Pompidou. C'est une exposition pluridisciplinaire, transcontinentale.

Il y a des artistes qui ont peu été relayés et soutenus par les institutions et les galeries. Donc, il y a un gros enjeu d'accès aux œuvres. Elles étaient souvent préservées par des familles qui n'ont pas forcément eu les outils pour les sauvegarder dans les bonnes conditions. Donc, c'est vrai que ça a été un défi particulièrement énorme et qu'on est très fiers d'avoir commencé à relever. 

Vous avez parlé des galeries, mais par qui d'autres et pourquoi ces artistes ont été invisibilisés ?

L'exposition couvre une période historique particulière qui est cette épopée des décolonisations, dès la fin des années 40, ce qui est une chose assez incroyable, parce que que Paris, à ce moment-là, est encore la capitale d'un empire colonial.

Et pourtant, c'est vraiment à Paris qu'à la fois, Léopold Sédar Senghor, Suzanne et Aimé Césaire, Léon Gontran-Damas, donc les membres de la négritude, et en même temps, James Baldwin, qui fuit la ségrégation aux États-Unis, Édouard Glissant, qui arrive de Martinique, décide de se retrouver à Paris pour vraiment penser c'est l'émancipation. Et cette épopée va durer jusqu'à la chute du régime de l'apartheid, parce que les décolonisations ne se sont pas faites en un jour.

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Donc, je pense qu'il y a un contenu politique qui est particulièrement difficile à mettre en lumière, surtout dans un contexte français, de pouvoir montrer ce moment où le monde bascule, où les perspectives basculent, les points de vue changent.

Et ce phénomène d'autonomisation politique et culturelle, cette révolution culturelle qui accompagne ce processus d'autonomisation politique. Je pense que c'est un peu difficile pour les institutions françaises de le raconter et de le porter.

Je pense que c'est aussi une exposition qui nous indique qu'il y a eu aussi une forme de désintérêt, pour ne pas dire de racisme, autour de ces artistes, qui est certain, puisqu'on constate dans cette exposition que certains artistes sont évidemment très politisés, cherchent à produire justement une histoire de l'art panafricaine, à esquisser les premiers mouvements aussi de l'histoire de l'art du Sénégal, de Martinique.

Il y a vraiment aussi cette idée d'affirmation nationale. Et en même temps, on voit aussi beaucoup d'artistes qui ont fait partie des mouvements internationaux comme l'abstraction, le surréalisme.

Et ces artistes-là étaient présentés dans les mêmes galeries que les artistes américains blancs, par exemple.

Pour la plupart de ces artistes, l'art était forcément politique, puisque les thèmes abordés durant cette exposition sont la décolonisation, l'anticolonialisme, le panafricanisme. Quelles résonances trouvez-vous entre ce que ces artistes dénonçaient, revendiquaient à l'époque et l'actualité ? 

C'est une exposition qui parle du passé, mais qui nous parle d'un passé qui nous permet d'éclairer un peu mieux le présent. Et j'espère de faire dévier surtout beaucoup d'idéologies qu'on subit
aujourd'hui au mauvais endroit, puisque cette exposition nous parle vraiment d'un moment où Paris a pu être un laboratoire, justement, pour toutes ces pensées décoloniales. 

Et elle nous parle à la fois de ce moment d'autonomisation, donc de comment les artistes peuvent aider à accompagner l'indépendance des pays africains, par exemple. 

On est ici ensemble dans cette salle qui est dédiée à Mai 68, qui est en fait plutôt dédiée à Mai 67. Cet épisode, indépendantiste en Guadeloupe, qui a été très violemment réprimé par l'État français à l'époque.

C'est aussi effectivement se rappeler que ces indépendantismes-là, ces volontés indépendantistes, cette question de la souveraineté, elle continue à se poser aujourd'hui et qu'elle n'a jamais cessé d'exister.

Donc, on voit une sorte de généalogie de l'histoire politique qui continue à se jouer aujourd'hui. Parfois, ça nous rappelle qu'il y a beaucoup de chemins de dialogue, de réconciliation, de moyens de penser le monde ensemble.

Et je pense que les artistes, notamment ceux qui ont travaillé dans les années 50, 60, nous montrent bien qu'on peut affirmer l'autonomie d'un pays tout en gardant aussi une certaine histoire avec le monde occidental.

Beaucoup de ces artistes modernes affirment, par exemple, l'idée de synthèse. On voit ça, par exemple, au Nigeria, dans les premiers mouvements portés par des artistes modernes. Donc, il y a vraiment des chemins communs qui sont proposés et en même temps des endroits où l'on voit que cette relation avec l'ancien pays colonisateur reste une question qui a encore une grande marche qui est en cours vers l'égalité, vers la liberté. Et on n'est pas du tout au bout de ce processus-là.

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