Avec "Des gens sensibles", Éric Fottorino, ami de Boualem Sansal, rend hommage aux artistes et intellectuels algériens

Actus. L’auteur et journaliste Éric Fottorino vient de publier, aux éditions Gallimard, son dernier roman "Des gens sensibles", une fiction rendant hommage à la littérature, à la liberté d’expression, ainsi qu’aux intellectuels et artistes algériens traqués durant la “décennie noire” (1992-2002).

Avec "Des gens sensibles", Éric Fottorino, ami de Boualem Sansal, rend hommage aux artistes et intellectuels algériens
L’auteur et journaliste Éric Fottorino vient de publier, aux éditions Gallimard, son dernier roman "Des gens sensibles".

Vous venez de publier aux éditions Gallimard Des gens sensibles. Vous y racontez l’histoire de Jean Foscolani, dit Fosco, un jeune écrivain sur le point de faire paraître son premier roman, intitulé lui aussi Des gens sensibles. Ce livre attire l’attention de Clara, une attachée de presse. Leur rencontre en entraînera une autre : celle entre Fosco et Saïd, un écrivain algérien très admiré dans son pays, mais dont la vie est constamment menacée en raison de la montée de l’islamisme en Algérie. Comment vous est venue l’idée de ce roman ?

C’est un livre qui paraît en mars 2025, mais que j’ai commencé à écrire au printemps de l’an 2000. C’est un texte qui a évolué au fil du temps. Je dirais même que j’ai passé 25 ans à ne pas l’écrire. Il est directement inspiré d’une histoire que j’ai vécue, avec ces deux personnages qui sont morts à quelques mois d’intervalle.

On est en 1995. Le narrateur a cette attachée de presse qui se passionne pour son livre, et en même temps, elle défend les écrits de cet écrivain algérien.

C’est un roman, dans la mesure où j’imagine beaucoup de choses qui leur arrivent,beaucoup de scènes. Mais, au départ, c’était simplement un hommage à un souvenir.

En toile de fond, notamment à travers l’histoire de Saïd, on découvre un pan de la “décennie noire” en Algérie, qui s’est déroulée entre 1992 et 2002. Cette guerre civile a opposé le gouvernement algérien aux groupes islamistes. Vous rendez hommage aussi à ces artistes et intellectuels qui ont été traqués, qui ont été persécutés. Pourquoi avez-vous décidé de nous raconter la décennie noire ?

Ce n’est pas tant que je l’ai décidé, mais le personnage de Saïd est largement inspiré d’un grand écrivain algérien que j’ai aimé, connu, et qui s’appelait Rachid Mimouni. Il avait notamment écrit Le Fleuve détourné et beaucoup d’autres livres… Je lisais sur son visage à la fois l’effroi et une forme de solitude.

Chaque jour, ou presque, il apprenait la mort d’un de ses amis : un intellectuel, un écrivain, un professeur… Des gens libres, qui voulaient dénoncer ce qui se passait dans leur pays.

À travers lui, j’ai voulu essayer de comprendre ce qui s’était passé en Algérie à ce moment-là. Mais bien sûr, ce livre n’est pas un récit historique. C’est à travers lui, à travers son regard, son impuissance — et aussi ses excès, puisqu’il sombre dans l’alcool, ce qui finira par l’emporter — que j’ai voulu montrer comment un régime, et les tragédies qu’il engendre, peuvent détruire des êtres humains.

Vous l’avez dit, Saïd est inspiré de Rachid Mimouni, cet écrivain algérien dont les livres ont été censurés en Algérie, mais qui a connu une grande popularité en France. Est-ce qu’il est uniquement inspiré par Rachid Mimouni ? Vous vous inspirez-vous aussi d’auteurs comme Kamel Daoud ou Boualem Sansal ?

Non, ce sont des amis, l’un comme l’autre, depuis longtemps. Mais non, je ne me suis pas inspiré d’eux, puisque comme je vous l’ai dit, j’ai commencé à écrire ce livre il y a très longtemps.

Mais c’est vrai qu’au moment où j’ai rendu les épreuves de mon livre, en novembre dernier, quelques jours après, Boualem Sansal a été arrêté à Alger.

Donc, évidemment, mon éditeur, les éditions Gallimard, quand ils ont lu ces pages, ont immédiatement pensé à ce qui était arrivé à leurs auteurs, à Boualem Sansal, mais aussi à Kamel Daoud, qui a fait l’objet d’une campagne terrible après son prix Goncourt.

Vous savez, les textes actuels, finalement, sont toujours d’actualité. C’est-à-dire qu’on écrit quelque chose de très profond et puis, tout d’un coup, il y a ce qu’on appelle une synchronicité. Le présent vient éclairer le passé, ou alors, dans l’autre sens, le passé vient éclairer le présent.

D’ailleurs, en parlant de Boualem Sansal, vous faites partie de son comité de soutien. Il a été condamné à cinq ans de prison en Algérie pour avoir reconnu la marocanité du Sahara occidental. On voit que les relations entre la France et l’Algérie se sont légèrement rétablies. Est-ce une chance pour Boualem Sansal d’obtenir une grâce ? Est-ce que vous y croyez ?

Moi, je pense qu'il faut être prudent, parce que, bien sûr, les conditions n’étaient pas réunies du tout pour qu’il soit gracié ou qu’il y ait une clémence de la part de l’Algérie.

Vous savez, quand il y a un blocage entre deux États, c’est là que c’est le pire, puisqu’il n’y a plus de dialogue. Dès lors qu’un certain dialogue semble avoir repris, vous voyez, je suis très prudent. Évidemment, cela entrouvre une porte pour libérer Boualem Sansal.

Maintenant, il a été condamné, lourdement condamné. C’est un innocent. La parole, justement, la liberté d’expression, la littérature, tout ça relève de la liberté. Et il n’a rien à faire en prison depuis 130, ou plus de 140 jours. J’attends encore des signes plus tangibles de sa possible libération.

Boualem Sansal, mais aussi Kamel Daoud, sont très critiques envers le gouvernement algérien et envers l'islamisme. Ce sont deux auteurs qui, ici en France, sont très repris par l'extrême droite. Est-ce que cela les dessert ?

En tout cas, je trouve que cela dessert la classe politique française et les intellectuels français, dans la mesure où je pense que, dans un cas comme celui de Boualem Sansal, puisqu’il est en prison, il devrait y avoir une unanimité qui dépasse les clivages gauche-droite. C’est à la fois une question de liberté et d’humanité.

Maintenant, le fait que Boualem Sansal se soit exprimé dans un média d’extrême droite a évidemment conduit une partie de la gauche à s’en détourner.

Mais vous voyez, je n’ai pas eu l’occasion, par la force des choses, de parler à Boualem. Mais si j’avais pu lui parler, je lui aurais demandé pourquoi il s’est exprimé là. Le connaissant, je sais qu’il n’est pas un homme d’extrême droite, j’en suis sûr.

Est-ce qu’il s’est bien rendu compte de ce qu’il faisait ? Est-ce que c’était une volonté d’aller parler à l’ennemi, parce qu’il n’était pas entendu autrement ? Parfois, quand on est désespéré, on parle à qui nous tend un micro. Ça, je ne sais pas. Pour moi, c’est un point obscur.

Je trouve que toute la classe politique aurait dû être unie derrière la cause de Boualem Sansal.

 

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