Pendant plus de soixante ans, Haïti a payé une indemnisation aux anciens propriétaires d'esclaves français. Une dette colossale de 150 millions de francs d’or. En échange, la jeune république a obtenu la reconnaissance de son indépendance. Une liberté fondamentale qui lui aura coûté son émancipation économique. Pour contrer « l’oubli et l’effacement », à l'occasion du bicentenaire de cet accord, l’Élysée a publié, jeudi 17 avril, une annonce : la création d’une commission mixte paritaire franco-haïtienne qui servira à « éclairer » l’impact de cette mesure.
Le remboursement total de cette dette s’est étendu jusqu’en 1952
À chaque départ des navires français gonflés de caisses d’or, tanguait un chant hostile dans le port haïtien, selon l’historienne et co-présidente d’une commission mixte paritaire franco-haïtienne, Gusti Klara Gaillard-Pourchet. Les habitants de l’île caribéenne entonnaient leur aversion contre l’Hexagone :
« Les Français blancs demandent de l’argent / où l’obtenons-nous ? / où allons-nous ? / on leur donnera des plombs / on leur donnera des canons »,
traduite du créole haïtien :
« Blan franse mande lajan / kote na pran ? / kote na pran ? / na ba yo boulèt / na ba yo kannon ».
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Des haïtiens dansent à Port-au-Prince après le séisme de 2010//Creatives Commons
Payer ou mourir ?
La Perle des Antilles – surnom donné par la France à sa plus riche colonie des Caraïbes – est la seule nation où les descendants d’esclaves ont payé des réparations aux héritiers de leurs anciens maîtres sur plusieurs générations. Son indépendance, Saint-Domingue – nom donné par l’ancien Empire colonial – l’arrache à la France, après l'échec de l’opération militaire lancée par l’empereur Napoléon Bonaparte entre 1801 et 1803. L’expédition menée par le beau-frère de l’empereur, Charles Leclerc, tente de reprendre le contrôle de l’île et de rétablir l’esclavage. Les troupes françaises capitulent face à l’armée indigène dirigée par Jean-Jacques Dessalines, et le 1er janvier 1804, Haïti est un pays libre.
🇭🇹 Une commission franco-haïtienne d'historiens va étudier "l'impact" sur Haïti de la "très lourde indemnité financière" imposée par la France à son ex-colonie en échange de l'octroi de son indépendance il y a 200 ans, a annoncé Emmanuel Macron #AFP
— Agence France-Presse (@afpfr) April 17, 2025
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Malgré son indépendance, Lakay – surnom donné à Haïti signifiant la maison – n’est pas un État souverain puisqu'elle n’est pas reconnue comme tel. Après plusieurs essais malheureux de pourparlers avec Paris, une décision royale bouleverse la voie diplomatique. D’anciens colons exercent une influence notable sur le gouvernement ultraroyaliste de France. Lorsque Charles X accède au trône en 1824, les négociations avec Jean-Pierre Boyer, président haïtien, se figent pour une approche unilatérale. Une dette imposée de 150 millions de francs d’or, destinée à indemniser les anciens esclavagistes, ainsi que l’ouverture des ports haïtiens au commerce français à des conditions préférentielles, lui est encore soumise. Et une nouvelle fois, Jean-Pierre Boyer refuse. Or, face à seulement deux possibilités – adhérer aux conditions tricolores ou faire face à une guerre – il signera l’ordonnance de Charles X.
D'emprunts en emprunts...
Libre mais endettée. Haïti contracte un emprunt massif de 30 millions de francs d’or auprès d'une banque française pour assurer l'indemnité. L’État haïtien percevra 24 millions de ces francs d’or, 6 millions sont ingurgités en frais financiers par la banque. Cette "double dette" est douloureuse pour Port-au-Prince. En 1830, Charles X tombe ; Jean-Pierre Boyer y voit l’opportunité d’améliorer la situation du pays en négociant avec son successeur, Louis-Philippe.
Rien n’y fait. Huit ans plus tard, Paris consent à un « traité de l’amitié » réduisant le montant de l'indemnité de 150 millions à 90 millions de francs d’or, à verser sur 30 ans. Puis en 1847, c’est la rupture. La France prélève dorénavant sur les recettes des exportations haïtiennes. Sous l’empereur Napoléon III, ce système est renforcé. Des agents douaniers de l'Hexagone sont directement installés au service des douanes du territoire caribéen. Pendant quarante ans, les cultivateurs de canne, de café, de coton ou de cacao rémunèrent des rentiers français, ou ont été réinvestis dans l’économie française de la Monarchie de Juillet à la Troisième République. Le remboursement de la dette prend fin en 1888, la dépendance, elle, se poursuit.
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Dans les années 1890, un choc économique frappe Haïti. Le café, alors sa principale ressource d’exportation, chute brutalement sur les marchés mondiaux. Le pays entre dans une crise économique profonde. Pour stabiliser sa situation, elle contracte un prêt de 50 millions de francs d’or à la France. Ce recours à l’endettement renforce la mainmise de l’étranger sur l’économie haïtienne, car une part considérable des recettes issues du travail agricole continue d’être transférée vers les créanciers extérieurs. Le remboursement de cette dette initiale s’est étendu jusqu’en 1952, du fait des intérêts et des emprunts contractés auprès de banques françaises, puis américaines.
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