L'ex-président tchadien Hissène Habré (1982-1990), exilé au Sénégal, inspire toujours une peur viscérale chez ses victimes qui veulent le voir jugé pour "crimes contre l'humanité", mais pas à N'Djamena où l'idée même de son retour a fait craindre des troubles violents.
Au Tchad, Hissène Habré dont le régime a fait 40.000 morts selon une commission d'enquête, compte toujours ennemis mortels comme soutiens discrets.Et bien que le Sénégal ait suspendu son projet de le renvoyer au Tchad son nom est revenu sur toutes les lèvres.
Les anciens agents de la DDS (Direction de la documentation et de la sécurité, police politique) "sont encore dans les rouages de l'Etat", affirme Boukar Aldoumngar Mbaïdjé, gendarme retraité de 62 ans et ancienne victime qui explique que les victimes du régime "ont toujours peur d'eux (...).Quand quelqu'un a été mordu par un serpent, il a peur d'une corde".
Comme de nombreuses victimes rencontrées par l'AFP, M. Mbaïdjé souhaite qu'Habré soit extradé et jugé en Belgique pour permettre de se "réconcilier" mais ne veut pas en entendre parler au Tchad redoutant notamment qu'il n'y ait de l'agitation.
"Nous les victimes, nous demandons que la justice soit faite, nous sommes tous des Tchadiens, on est condamnés à vivre ensemble, (mais) on ne doit pas être condamné à vivre avec les rancoeurs", estime-t-il.
"Qu'il soit jugé au Tchad ou ailleurs, l'essentiel est qu'il soit jugé parce que nous avons plusieurs victimes qui attendent.Il faudra que la lumière soit faite, c'est très important" pour le pays, plaide le procureur général, en charge de l'affaire au Tchad, Massingarel Kagah qui ne croit pas qu'un retour aurait pu déstabiliser le pays.
Signe que les plaies ne sont pas refermées, un gradé des services de renseignement confie que "le niveau de sécurité" avait été relevé par crainte qu'Habré ne soit assassiné ou de troubles dans un pays marqué depuis son indépendance en 1960 par d'incessants conflits.
A l'annonce de son retour, des victimes auraient même prévu de quitter "la ville, par peur, rien qu'à entendre prononcer (son) nom", affirme Clément Abaifouta, président de l'Association des victimes contre la répression politique (AVRP), ajoutant que ce rebondissement dans l'affaire "remue des choses, tout ce que les gens ont ancré en eux, les gens revoient ce passé noir".
Selon le journal proche de l'opposition N'Djamena Bi Hebdo, le gouvernement aurait même craint que "la présence de HH (Hissène Habré) sur le territoire national occasionne un affrontement armé intercommunautaire (Habré est d'ethnie gorane, du nord) à cause de la vendetta bien ancrée dans les moeurs de certaines communautés tchadiennes".
Porte-parole de Human rights watch, Reed Brody explique qu'au Tchad "mosaïque de groupes ethniques", la répression a visé notamment "les populations du sud du Tchad parce qu'il y avait la rébellion", avant de toucher en 1987 l'ethnie Hadjeraï (du nord) dont certains étaient entrés en rébellion et enfin en 1989 les Zaghawas (de l'est) avec "la dissidence et la rébellion d'Idriss Deby", actuel président ayant renversé Habré en 1990.
"Hissène Habré est responsable de la mort de beaucoup de proches" de Deby, poursuit M. Brody.
Selon lui, "les ennemis de Hissène Habré, ils sont un peu partout (...) on dit communément qu'il n'y a pas de famille qui n'a pas perdu une personne pendant le régime de Hissène Habré".
Tahir, 29 ans, un habitant de N'Djamena, affirme toutefois qu'en privé "il y a des gens qui restent mordicus, à 100% pour" Habré.
L'universitaire et intellectuel Ali Abderhamane Haggar regrette, lui, qu'un procès ne se tienne pas au Tchad: "Je vous assure que si on avait fait ça dans les années 2000, dix ans seulement après sa chute, on aurait beaucoup évolué en droits de l'homme, en démocratie, en transparence".
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