Dans un paysage ocre de terres arides, traversé d'une longue langue de bitume parallèle à une ligne de haute tension, un point minuscule se dessine à l'horizon, en plein no man's land qui sépare les belligérants sur le front est de Syrte.
"Notre équipe de reconnaissance", pointe derrière ses jumelles Moustafa Bendardaf, l'un des commandants de l'ex-rébellion libyenne, aujourd'hui au pouvoir, sur le front de Syrte, à environ 90 km à l'est de ce bastion fidèle à Mouammar Kadhafi et région d'origine de l'ex-dirigeant.
Le véhicule 4X4, stoppé en dévers d'une colline rocailleuse, échappe à la vue des premières lignes des forces pro-Kadhafi."L'objectif est de visualiser les lignes ennemies", pour sécuriser une prochaine progression de deux kilomètres jusqu'à un ancien relais de téléphonie mobile.
Une explosion fait trembler le sol, dans un terrible fracas d'acier: un bref panache de fumée grisâtre s'élève quelques centaines de mètres plus à l'est.Les éclaireurs ont été apparemment repérés, mais ils ne bougent pas, malgré les tirs d'artillerie du camp adverse.
Dans le ciel bleu limpide, le ronronnement incessant des avions de l'Otan, invisibles à l'oeil nu."Ils ont tapé toute la journée", explique cheikh Bendardaf, en référence à leurs bombardements aériens sur les chars et véhicules lance-roquettes de l'armée de Kadhafi.
Au loin, plus loin encore que ne portent les jumelles des rebelles, une épaisse fumée noire, sans doute les restes de l'une de ces cibles pulvérisées par une bombe téléguidée et qui finit de se consumer.
"Nos éclaireurs ont reçu l'ordre de revenir, ils sont trop proches de l'ennemi et pourraient être pris pour cible par l'Otan", s'inquiète le commandant rebelle.
Camouflé derrière une muraille de sable, un char T-55 des combattants pro-CNT fait feu.Impossible d'identifier le point d'impact ou même l'objectif.Les éclaireurs, quant à eux, n'ont toujours pas bougé, "ils vont passer la nuit là-bas".
La guerre du désert n'est pas vraiment spectaculaire ce jour-là.Depuis une semaine que durent les négociations pour obtenir la reddition pacifique de Syrte, elle se déroule en fait à ce rythme, en un petit jeu du chat et de la souris fait de brefs échanges d'artilleries et raids d'éclaireurs.
"Nous avons reçu l'ordre de ne pas bouger tant que les négociations se poursuivent, soit jusqu'à samedi prochain", grogne le commandant Bendardaf, qui cache à peine sa mauvaise humeur de devoir ainsi brider l'avancée de ses hommes.
En attendant, "on harcèle l'ennemi, on le provoque", fanfaronne ce colosse à la voix de stentor, ex-bodybuilder et importateur de jouets dans le civil.
En cet fin d'après-midi sur les premières lignes, les hommes qui ne sont pas occupés à scruter l'horizon à la jumelle profitent d'une tiède brise venue de la Méditerranée toute proche pour se détendre.
Moteur hurlant, un bulldozer s'active à construire des barrières de sables et renforcer les positions dans les dunes couvertes de bosquets d'épineux, hors de portée des tirs d'armes automatiques de l'adversaire, mais toujours la cible de ses dangereuses roquettes Grad BM-21.
Deux combattants en short à peine sortis de l'adolescence chevauchent de pauvres bourricots paniqués, provoquant les éclats de rire de leurs camarades.
Le thé chauffe sur la braise, tandis que les hommes aux tenues dépareillées font leurs ablutions ou devisent à l'ombre de toiles tendues entre les pick-ups surmontés de lance-roquettes et canons DCA de 23.5mm en tourelle.
"Nous sommes patients, Kadhafi est bientôt fini, notre peuple est libéré", plaide Ali "Motorola", de son vrai nom Ali al-Teituri, Américano-Libyen de 28 ans, revenu en mars de sa ville de Maittri, en Louisiane, pour "prendre part à la libération" du pays.
Un soldat à casquette monte sur le toit de son 4X4, se tourne, debout et mains sur les oreilles, vers le sud-est en direction de La Mecque pour appeler à la prière du soir.
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