Ils se sont exilés et se sont battus pendant des années pour faire vivre en France la voix réprimée de l'opposition tunisienne.Tarek, Mouhieddine, Fatma, trois vieux militants des droits de l'Homme devenus les vigies inquiètes de la Tunisie révolutionnaire.
"Une partie de la lutte en France a été d'être une caisse de résonance, faire savoir que des forces résistaient à Ben Ali.Notre rôle n'est pas fini: nous avons le crédit, l'expérience, nous sommes les guetteurs du nouveau régime", explique Tarek Ben Hiba.
C'est leur raison de vivre: militer, dénoncer, alerter.Tous réunis en France au fil de la répression, des condamnations et de l'exil au sein d'associations de défense des droits de l'Homme à faire le lien avec les organisations de l'intérieur, manifester pour la libération d'opposants, publier des rapports sur la torture.
Tarek Ben Hiba, 57 ans, emprisonné dans les années 70 sous Bourguiba pour ses activités au sein de la gauche radicale avant de quitter le pays après l'arrivée au pouvoir de Ben Ali.
Fatma Ksila, 54 ans, qui a fui la Tunisie il y a dix ans pour éviter que son mari Khemais, dirigeant de la Ligue tunisienne des droits de l'Homme (LTDH), ne passe pour la troisième fois par les geôles du régime.
Ou Mouhieddine Cherbib, 58 ans, installé en France depuis 35 ans où il a co-fondé avec l'opposant Kamel Jendoubi le Comité pour le respect des libertés et des droits de l'Homme en Tunisie (CRLDHT), condamné en 2008 pour son soutien au mouvement social de Gafsa (sud-ouest).
La révolution, ils l'ont suivie de l'autre côté de la Méditerranée.Lorsqu'elle a éclos, elle les a surpris, enivrés, enorgueillis.
Neuf mois après, alors que les Tunisiens sont appelés à élire leur Assemblée constituante - jeudi, vendredi, samedi en France et dimanche en Tunisie -, c'est l'heure du bilan.
"Cela a donné un immense espoir.Le peuple s'est saisi de la chose politique, a chassé les caciques du pouvoir, dissous les institutions de l'ancien régime, organisé des élections indépendantes", résume M. Cherbib.
Pourtant, ils sont inquiets ces vieux opposants qui regardent de loin mais avec l'oeil aiguisé de ceux qui depuis longtemps n'ont pas peur de parler.
Inquiets d'avoir vu les grands partis laïques être incapables une fois de plus de s'accorder pour proposer un projet commun.
"Le camp progressiste est morcelé, il y a une absence d'unité effrayante.Les partis ne sont pas dans le concret mais dans la compétition.La génération qui les dirige s'est beaucoup épuisée à se battre contre Ben Ali et la lutte clandestine ne permet pas le débat démocratique", regrette M. Ben Hiba.
Inquiets d'avoir vu la liberté faire émerger ces mouvements salafistes qui, peu nombreux mais actifs, commencent à imposer leurs lois au parti islamiste Ennahda, favori du scrutin.Et de constater que les jeunes miséreux qui ont fait la révolution sans rien voir venir restent à l'écart de la transition, peut-être tentés demain par l'extrémisme.
"Face à la décomposition des forces du progrès, il y a Ennahda qui regroupe tout le monde et c'est ce qui nous fait peur", commente Fatma Ksila."Il y a une déchirure entre la direction et la base du parti: les hauts cadres réprimés et exilés on les connaît mais les structures qui sont restées se sont radicalisées de façon extraordinaire".
Inquiets encore de voir que la dictature n'est pas disséquée lors des procès où les proches de l'ancien régime sont jugés comme des malfrats par une justice non épurée."Il faut exorciser la dictature du peuple.S'il y a une dictature c'est aussi parce qu'il l'a accepté.S'il ne se met pas en cause, demain il ne sera pas épargné", dit M. Cherbib.
Alors aujourd'hui, chacun se fait guetteur à sa façon.
Fatma Ksila s'apprête à suivre son mari engagé en politique en menant la liste du parti Ettakatol (centre-gauche) à Tunis.Tarek Ben Hiba se présente en France pour se faire porte-parole des émigrés tunisiens.Ensuite, il veut "se réinstaller en Tunisie et travailler dans une association".
Mouhieddine Cherbib reste, infatigable harangueur des consciences multipliant les appels aux partis pour qu'ils demandent la renégociation des accords entre la Tunisie et l'Europe concernant les migrants.
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