La victoire du parti islamiste Ennahda en Tunisie est "l'expression légitime du peuple tunisien qui va aux urnes", estime le politologue français Gilles Kepel, professeur à l'Institut d'études politiques de Paris et spécialiste de l'islam politique.
- QUESTION: Comment les pays étrangers, et en particulier les démocraties occidentales, doivent-elles réagir à ce qui apparaît, au vu des résultats encore partiels, comme une victoire du mouvement islamiste Ennahda aux élections de l'assemblée constituante du 23 octobre en Tunisie ?
- REPONSE: Les élections se sont déroulées de façon tout à fait normale, avec une participation massive.Et même s'il y a quelques réclamations, à partir du moment où le processus électoral a été respecté il est difficile de contester le fruit de l'expression légitime d'un peuple tunisien qui va aux urnes.
Il a donné la majorité au parti qui lui apparaissait, à tort ou à raison, comme la principale victime du régime de Ben Ali.Ennahda c'est le parti des emprisonnés, un peu comme le PCF était le parti des fusillés en 1945.
- QUESTION: Comment expliquez-vous cette victoire ?
- REPONSE: Les partis islamistes qui prennent le devant de la scène aujourd'hui dans les révolutions arabes (...), la force électorale en Egypte des Frères Musulmans et le positionnement significatif des groupes proches de l'islam politique en Libye manifestent que ce mouvement à réussi à incarner l'alternative aux dictatures dont le principal péché aux yeux des populations était d'être liés à l'Occident et à l'Europe.De ce fait, ce sont les islamistes qui raflent mécaniquement la mise au détriment de partis laïques en Tunisie, qui avaient pourtant souffert aussi sous le régime précédent.
D'autre part, la mouvance islamiste est extrêmement divisée: à côté d'une frange radicale, il y en a une autre qui veut trouver les moyens de faire fonctionner la société et qui a les yeux fixés sur le modèle turc.Il y a chez un certain nombre de ces islamistes une fascination pour le modèle turc: un gouvernement islamiste qui s'accomode de la domination économique d'une grande bourgeoisie tournée vers l'Occident.Des dirigeants d'Ennahda se sont rendus encore très récemment en Turquie pour en étudier le fonctionnement.Ils rêvent de passer une alliance avec les entrepreneurs tunisiens en leur assurant qu'en échange d'une partie des profits, ils organiseront la docilité des masses populaires pour parvenir à un modèle de production à bas coût qui permettra à la Tunisie de tenir son rang dans l'économie mondiale.
Cela m'étonnerais que les dirigeants d'Ennahda s'engagent, en tout cas dans l'immédiat, dans une politique qui était celle du FIS en Algérie dans les années 90, c'est-à-dire ségrégation des plages, action contre les femmes dévoilées...
Je suis convaincu qu'ils se projettent dans un parti de gouvernement, donc que cela suppose la prospérité de la société.
- QUESTION: Donc il ne faut pas craindre les victoires électorales de mouvements islamistes, en Tunisie ou ailleurs ?
- REPONSE: Les Tunisiens ont passé leur temps à envoyer des signaux aux Européens pour leur assurer qu'ils n'avaient pas d'intentions belliqueuses.La réalité de la prédication d'Ennahda, de sa parfaite organisation pendant les élections pose toutefois toutes sortes de questions pour l'avenir.
Et en Egypte, il n'y a pas eu vraiment de révolution.Il y a eu la place Tahrir et c'est l'armée qui contrôle toujours le système.
(Propos recueillis par Michel Moutot).
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