Modifier la Constitution pour imposer une présidentielle à un seul tour et s'assurer de rester au pouvoir: plusieurs dirigeants africains ont usé de cette pratique, légale mais qui peut représenter un "détournement" de la démocratie, estiment des chercheurs.
Dernier exemple en date: la réforme constitutionelle en République démocratique du Congo (RDC), où le camp du président Joseph Kabila a obtenu en janvier de faire passer l'élection du chef de l'Etat à un seul tour, dix mois avant le scrutin.
Cette révision, boycottée par l'opposition parlementaire, a aussi été dénoncée par l'Eglise qui a dit craindre "l'instauration d'une nouvelle dictature", après celle de Mobutu (1965-1997).
"Du point de vue juridique on n'a pas grand chose à dire puisque les procédures sont respectées.Mais il s'agit en réalité d'une instrumentalisation des outils démocratiques", affirme le constitutionnaliste Jean de Gaudusson, spécialiste des droits africains.
Pour Alioune Sall, directeur exécutif de l'Institut des futurs africains basé à Pretoria, "ces modifications ont l'apparence de la légalité mais sont des forfaitures sur le plan politique, éthique.En respectant les formes (un vote au parlement) mais pas l'esprit (de la Constitution), les dirigeants vident la démocratie de son sens".
Avec un scrutin à tour unique, les chefs d'Etat en place tablent sur la prime au sortant et s'épargnent le risque de voir l'opposition se coaliser pour renverser la tendance au second tour, soulignent les chercheurs.
Avant l'ex-Zaïre où Joseph Kabila affrontera une opposition divisée, une modification du même type avait été entérinée en 2003 au Gabon, où Ali Bongo a succédé en août 2009 à son père défunt à l'issue d'un scrutin contesté par l'opposition.
A Libreville, les défenseurs de la réforme mettent en avant "la volonté de faire des économies" et de "lutter contre l'abstentionnisme", explique le sociologue Anaclé Bissielo, qui rappelle que la révision de la Constitution était intervenue à l'époque "avec l'accord de l'opposition".
Mais il est clair qu'elle a "favorisé" Ali Bongo, pour un universitaire gabonais.
"C'est un bonus qu'on accorde à celui qui tient le pouvoir.En Côte d'Ivoire, (le président sortant) Laurent Gbagbo aurait été élu (fin 2010) s'il n'y avait eu qu'un tour", affirme Alioune Sall.
Ces réformes visent aussi souvent à supprimer la limitation du nombre de mandats présidentiels, comme cela a été le cas en 2008 au Cameroun où Paul Biya, au pouvoir depuis près de 30 ans, a élé réélu en octobre 2011 en un scrutin à un seul tour.
"Cette instrumentalisation des règles du jeu n'est pas tout à fait nouvelle.Avec Abdoulaye Wade (Sénégal), on est arrivé à 16 modifications en 10 ans, ce qui est un record", rappelle Alioune Sall.
Pour lui, "tous ces tripatouillages témoignent d'une chose: les processus de démocratisation ne sont pas aboutis en Afrique.Dans des économies rentières, tant que l'accès au pouvoir restera le seul moyen d'accéder aux ressources, il n'y aura pas de culture d'alternance".
Jean de Gaudusson estime toutefois que l'aspiration démocratique a commencé à imprégner les sociétés africaines et que certains garde-fous fonctionnent.
"Des manifestants ont fait reculer Abdoulaye Wade, qui a renoncé (en juin) à une nouvelle réforme constitutionnelle.Au Bénin, la cour constitutionnelle a récemment rejeté une modification (concernant la durée du mandat des députés), qui était légale mais dont elle a estimé qu'elle était contraire à l'esprit de la Constitution", explique-t-il.
Mais globalement, ces "tripatouillages" rencontrent peu d'opposition, d'autant que les grandes démocraties occidentales "ferment les yeux, tant la légalité est formellement respectée" et tant que la violence émane d'une frange minoritaire de l'opposition, soulignent les chercheurs.
"Les jeunes générations n'attendent plus grand chose d'un vote-formalité.La résistance va prendre d'autres formes, plus inattendues, parfois plus violentes", estime Alioune Sall.
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