La fermeture annoncée d'une célèbre librairie de Johannesburg a mis l'intelligentsia sud-africaine en émoi.Elle a aussi montré qu'il était très difficile de vendre des livres en Afrique du Sud, un pays où seule une élite lit vraiment.
"Seul 1% de la population achète des livres", soupire Elitha van der Sandt, directrice du Conseil sud-africain de développement du livre (SABDC).
Les professionnels et chercheurs interrogés par l'AFP avancent plusieurs explications à cette désaffection : le pays souffre d'un grave problème d'illettrisme, notamment hérité de l'apartheid, qui n'avait pas jugé nécessaire d'éduquer les populations de couleur.La médiocrité du système éducatif actuel n'a pas spécialement amélioré la situation, ajoutent certains.
Quant aux Blancs, une bonne partie d'entre eux descendent de petites gens qui ne lisaient que la Bible, au mieux : "Ce n'était pas les intellectuels qui ont quitté l"Europe !", s'amuse une libraire.
Un de ses collègues avance aussi que la clémence du climat inciterait plutôt à aller faire du sport à l'extérieur qu'à rester chez soi à bouquiner.
Et puis, il y a les prix : le moindre livre de poche coûte au moins 120 rands (11 euros).C'est beaucoup dans un pays où un salarié non-qualifié gagne en moyenne de 2.000 à 3.000 rands.
"Alors que quelques livres se vendent vraiment bien, la plupart ne se vendent qu'à un millier d'exemplaires.Ca veut dire que les éditeurs font des petits tirages, ce qui fait monter les coûts (et les prix)", observe Beth Le Roux à l'université de Pretoria, qui cite aussi la TVA à 14% et le coût du transport pour les ouvrages importés.
"Pour faire partie des best-sellers, il ne faut vendre que quelques milliers d'exemplaires ici !"
Elle estime le chiffre d'affaires de la profession à 3,5 milliards de rands (320 millions d'euros), dont les deux tiers concernent des ouvrages scolaires et universitaires.
Les livres religieux représentant plus de 20% du reste, la littérature générale n'est pas à la fête, dans ce vaste pays de 50 millions d'habitants.
En province, on ne trouve le plus souvent que des papeteries qui vendent quelques bouquins --romance, histoires de princesses, polars et sport-- et des boutiques spécialisées dans les ouvrages religieux.
Les plus grandes agglomérations ont tout de même de "vraies" librairies.La plupart du temps une succursale d'Exclusive Books, la principale chaîne du pays.
Dans ce contexte où l'amateur se tourne de plus en plus vers l'internet, Boekehuis --la "maison des livres", en afrikaans-- faisait figure d'exception.
Cette petite librairie située à deux pas des principales universités de Johannesburg propose pour quelques semaines encore un assortiment d'ouvrages choisis, dans quatre pièces d'une maison centenaire.Avec parquet ciré, moulures au plafond, café et jardin fleuri.
"C'est comme une maison (...) Les gens viennent ici pour acheter des livres, mais pas seulement.Ils viennent pour l'ambiance, pour passer un bon moment, et aussi pour les causeries", les événements littéraires qui ont fait sa réputation, décrit avec émotion sa gérante Corina van der Spoel.
Mais si cette librairie a souvent été décrite comme "indépendante", elle appartient depuis son ouverture en 2000 à Media24, le plus grand groupe de presse du pays.Lequel a décidé d'arrêter les frais, Boekehuis n'ayant jamais été rentable.
Une pétition a été lancée pour faire revenir Media24 sur sa décision, signée par des noms tels que les écrivains André Brink et Deon Meyer, le photographe David Goldblatt ou l'artiste William Kentridge.En vain.
"Plusieurs possibilités, dont la recherche d'un acheteur, ont été étudiées sans succès.Aucun acheteur intéressé n'a pu être trouvé", a expliqué le groupe, dont les dirigeants n'ont visiblement plus envie de faire du mécénat.
A quelques kilomètres de là, Exclusive Books --qui appartient à un groupe de presse concurrent-- vient de réduire la surface de son plus grand magasin.
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