Parce qu'elle considérait l'ANC comme "terroriste", parce qu'elle s'opposait aux sanctions contre le régime de l'apartheid, et parce qu'elle voyait le pouvoir blanc comme un rempart contre le communisme, Margaret Thatcher fut accusée de soutenir le régime raciste sud-africain.Même si des documents historiques prouvent que la réalité fut plus nuancée.
Peu de gens en Afrique du Sud ont pleuré l'ex-Premier ministre britannique, décédée le 8 avril.Les historiens ont rappelé que, lorsque Pretoria a pris des mesures drastiques dans les années 1980 pour mater la révolte noire, la "Dame de Fer" fut, à plusieurs reprises, le seul grand leader international à plaider contre le principe des sanctions.
"Nous estimons que les sanctions ne font que durcir les attitudes", lança-t-elle devant le parlement britannique en 1987, "les premiers à en souffrir sont les Noirs d'Afrique du Sud, dont les emplois et les revenus seraient mis en danger".
En même temps, elle se présentait comme une "amie sincère" du président PW Botha, l'homme fort de l'apartheid pur et dur, qu'elle invita à Londres en 1984, alors que le monde entier le traitait comme un paria.Tout en le pressant, en privé, de démanteler l'apartheid et de libérer Mandela, comme le prouve une correspondance déclassifiée depuis.
L'année suivante, elle lui écrivait en effet ceci: "Je me suis retrouvée isolée lorsque je me suis opposée aux sanctions.J'ai été la cible d'injures, on m'a accusée de préférer les emplois britanniques aux vies africaines (...) J'ai placé beaucoup d'espoir dans l'assurance que vous m'avez donnée de prendre des mesures pour mettre fin à la discrimination raciale et pour mettre en pratique le principe de participation de toutes les communautés à la vie politique".
"Je crois très fermement que vous devriez prendre des mesures concrètes dans les prochains mois", ajoutait-elle dans cette missive, avant d'enjoindre le président Botha de libérer Mandela, considéré à l'époque comme le martyr de la cause noire sud-africaine, en prison depuis 1964: "Je continue à croire, comme je vous l'ai dit, que la libération de Nelson Mandela aurait plus d'impact que presque n'importe quelle autre mesure que vous pourriez prendre".
Double jeu
Voyant que Botha restait sourd à ses appels, elle lui signifia quelques mois plus tard qu'elle était "déçue, et même consternée"
Mais en public, elle défendait ses propres valeurs, et ne craignait pas de passer pour une supportrice du régime honni.
Les positions de Margaret Thatcher, à la lumière de l'histoire, s'expliquent cependant plus par certaines de ses obsessions que par un soutien réel au régime raciste:
- Libérale acharnée, elle considérait les sanctions comme un crime contre le libre commerce qu'elle prônait.
- Ayant elle-même failli perdre la vie dans un attentat perpétré par l'IRA, le groupe armé irlandais, elle ne pouvait cautionner les appels à la violence de l'ANC, qui avait fondé dans les années 60 sous l'autorité de Mandela une "branche armée".
- Profondément hostile au communisme, à une époque où les alliés de l'URSS occupaient encore des positions stratégiques dans le monde, elle considérait que le régime de Pretoria constituait un rempart contre l'expansion soviétique en Afrique.
L'ANC, au pouvoir depuis 1994, a officiellement réagi de façon fort diplomatique à l'annonce de son décès.Exprimant sa "tristesse", le porte-parole du parti a noté qu'elle avait "remodelé la politique britannique et l'administration publique".
Discrètement, il a cependant rappelé que "l'ANC subissait les conséquences de sa politique".
Certains vétérans de la lutte anti-apartheid n'ont pas eu cette retenue: "Je dis, bon débarras!", a fulminé dans la presse Pallo Jordan, ex-militant et ex-ministre ANC: "Elle était une ardente supportrice du régime d'apartheid".
Quelques mois après la libération de Mandela en 1990, Margaret Thatcher l'avait reçu à Londres.Le prix Nobel de la paix sud-africain n'ignorait pas que son interlocutrice avait longtemps joué sur deux tableaux: tout en entretenant un dialogue avec Pretoria, la Grande Bretagne avait non seulement accueilli sur son sol les "terroristes" de l'ANC, mais avait même fourni une protection policière aux dirigeants rebelles basés à Londres, dont Thabo Mbeki, futur vice-président sud-africain, et Oliver Tambo, président du parti.
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