Vingt ans après le génocide, les relations entre Paris et Kigali peinent à se relancer malgré une réconciliation officielle en 2010, fluctuant au gré de procédures judiciaires interminables qui continuent de nourrir soupçons et rancoeurs sur le rôle de la France au Rwanda en 1994.
"Complexe", "fragile", "délicate", "ambiguë", "passionnelle": les termes employés par les diplomates, historiens et spécialistes pour qualifier la relation franco-rwandaise traduisent à eux seuls un malaise persistant.
Au coeur du contentieux, la question du soutien de la France et de son armée au régime hutu rwandais, coupable d'un génocide qui a fait 800.000 morts, essentiellement des Tutsi, entre avril et juillet 1994.
Paris accusé de "complicité" de génocide
Depuis lors, le nouveau pouvoir à Kigali, issu de la rébellion tutsi, accuse la France de "complicité" de génocide pour avoir formé et armé les forces rwandaises, puis protégé, sous couvert de l'opération militaro-humanitaire Turquoise déployée dans le sud du pays, les responsables du régime génocidaire dans leur fuite vers le Zaïre (devenu depuis la République démocratique du Congo, RDC).
Premier et seul chef d'Etat français à s'être rendu au Rwanda depuis le génocide, Nicolas Sarkozy avait reconnu en février 2010 de "graves erreurs d'appréciation" et une "forme d'aveuglement" de la France, sans pour autant présenter les excuses attendues par les victimes rwandaises.
"On est sur des dossiers majeurs qui, 20 ans après, n'ont toujours pas été éclaircis", constate André Guichaoua, professeur à la Sorbonne à Paris et auteur de "Rwanda: de la guerre au génocide", qui fut lui-même témoin du début des massacres, le 7 avril 1994."La France officielle n'a pas achevé son travail de vérité sur son implication dans le conflit rwandais avant, pendant et après le génocide", estime-t-il.
"Il y a toujours un voile de suspicion qui plane", reconnaît l'ancien ministre français des Affaires étrangères Bernard Kouchner, qui fut l'un des principaux artisans du rapprochement franco-rwandais.La France a commis une "erreur politique majeure" en soutenant le régime du président hutu Juvénal Habyarimana "et ça pèse", dit-il.
Rompues en 2006 après la mise en cause par la justice française de proches du président rwandais Paul Kagame dans l'attentat qui a coûté la vie au président Habyarimana le 6 avril 1994, considéré comme l'élément déclencheur du génocide, les relations diplomatiques ont été rétablies trois ans plus tard.
"Il faut demander pardon"
Pour autant, "la relation n'a jamais décollé et reste marquée par l'émotion, la passion, le parti pris", estime Antoine Glaser, ancien journaliste et expert de la politique africaine de la France, qui rappelle l'"antagonisme" entre la France et le Rwanda sur le dossier de la RDC, où Kigali est régulièrement accusé de soutien aux rébellions.
Preuve des tensions récurrentes, rappelle-t-il, en 2012, la France est restée plusieurs mois sans ambassadeur au Rwanda, Kigali ayant refusé d'agréer la diplomate désignée par Paris, Hélène Le Gal, aujourd'hui conseillère Afrique du président François Hollande.
"La suspicion subsiste.On ne peut pas espérer tourner une page sans jamais lire ce qui est écrit dessus", estime l'historien franco-rwandais Marcel Kabanda, représentant en France de l'ONG Ibuka, principale organisation de rescapés du génocide."Quand on reconnaît une +erreur+, on doit en tirer les conclusions: il faut demander pardon", ajoute-t-il.
"Nicolas Sarkozy a fait le premier pas, il a prononcé des mots, mais il manque encore quelque chose", estime l'ambassadeur du Rwanda à Paris, Jacques Kabale.
"Il faut plus que des paroles, il faut des actes", dit-il en rappelant qu'à ce jour, et contrairement à d'autres pays, la justice française s'est toujours refusée à répondre favorablement aux demandes d'extradition de génocidaires présumés par Kigali, et qu'il aura fallu 20 ans pour qu'un premier procès s'ouvre enfin en France, le 4 février.
"L'histoire entre le Rwanda et la France a connu tant de péripéties négatives que le simple fait qu'il n'y ait pas de nouvelles est déjà une bonne nouvelle", déclarait en mai le président Kagame à l'hebdomadaire Jeune Afrique."Nous sommes ouverts à toute forme de coopération avec Paris, mais, à tout prendre, je préfère encore qu'il ne se passe rien plutôt qu'une énième régression..."
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