Un projet ultra-controversé de révision constitutionnelle a été retoqué vendredi à une voix près par les députés burundais, qui, en pleine crise politique, ont infligé un camouflet au chef de l'Etat Pierre Nkurunziza.
Ce projet de révision constitutionnelle, engagé l'an dernier en catimini par l'exécutif burundais, risquait, selon la société civile et l'opposition, de saper un fragile équilibre ethnique entre Tutsi et Hutu, en remettant en question un délicat partage du pouvoir qui avait permis au petit pays d'Afrique des Grands Lacs de renouer avec la paix après des décennies de conflits fratricides.
Il devait aussi permettre au chef de l'Etat de briguer un troisième mandat consécutif, ce que la Constitution actuelle ne permet pas.
Le parti au pouvoir, le Cndd-FDD (hutu), est très largement majoritaire à l'Assemblée.Mais il avait besoin du vote favorable de quatre-cinquièmes des députés (soit 85 élus sur 106) pour faire passer son texte.Une voix lui a manqué.
"Le oui a obtenu 84 voix, le non 0 voix et l'abstention 0 voix.La Constitution du Burundi prévoit une majorité de 4/5 des membres de l'Assemblée pour l'adoption de la révision de la Constitution, soit 85 voix.Ce projet de révision de la Constitution est donc rejeté", a annoncé le président de la chambre, Pie Ntavyohanyuma, à l'issue du vote à main levée.
"Ce texte est renvoyé à la présidence", a-t-il poursuivi."Il ne pourra pas être représenté au parlement avant une année".
Le parti tutsi Uprona, en crise ouverte avec le Cndd-FDD depuis quelques semaines après avoir été son seul allié politique depuis les dernières élections de 2010, ainsi qu'un autre parti d'opposition, le Frodebu nyakuri, ont boycotté le vote, après des semaines de négociations avec le pouvoir.
- Passage 'en force' -
"Les députés de l'Uprona et du Frodebu nyakuri ont décidé de boycotter cette séance car (...) le parti Cndd-FDD (...) cherche à passer en force", a déclaré devant la presse Charles Nditije, président de l'Uprona."On s'est trouvé en désaccord total sur deux points primordiaux pour nous, le référence à l'accord de paix d'Arusha qu'ils veulent supprimer ainsi que l'article 302 qui interdit au président Pierre Nkurunziza un troisième mandat, qu'ils veulent supprimer également".
Signé en 2000, l'accord d'Arusha institutionnalise le partage du pouvoir entre la majorité hutu (85% de la population), aujourd'hui au pouvoir, et la minorité tutsi (14% des Burundais) qui a longtemps dirigé le pays.Il avait débouché sur la fin d'une longue guerre civile en 2006.
Avant cela, en 1972, en 1988 ou à partir de 1993, quand commença cette guerre civile qui allait faire quelque 300.000 morts en 13 ans, l'histoire du Burundi avait été jalonnée de massacres ethniques.
Saluant, après le rejet de la réforme, une "grande victoire pour la démocratie burundaise", Vital Nshimirimana, coordinateur du Forum pour le renforcement de la société civile, plate-forme regroupant 200 associations, a tout de même appelé à la vigilance, anticipant d'ores et déjà une contre-attaque du président Nkurunziza.
Le ministre de l'Intérieur Edouard Nduwimana, qui a défendu le texte devant les élus, a d'ailleurs laissé entendre qu'il serait possible de contourner le Parlement pour faire passer la réforme."Le texte va revenir à la présidence, et sachez que la Constitution donne au chef de l'Etat d'autres possibilités de le faire adopter, en passant par la voie du référendum par exemple", a-t-il expliqué à l'AFP.
Pierre Nkurunziza n'a jamais fait mystère de sa volonté de rempiler pour une troisième fois pour l'élection de 2015.Certains cadres du Cndd-FDD assurent même qu'il pourrait se représenter sans toucher à la Constitution, en jouant sur le fait d'avoir, la première fois, été élu par le Parlement.
Le rejet de la réforme intervient dans un contexte de grave crise politique qui dure depuis plusieurs semaines, après le départ de l'Uprona du gouvernement suite à des divergences sur une série de dossiers clés, dont cette révision constitutionnelle, et pour protester contre une tentative de noyautage de sa direction par le Cndd-FDD dans la perspective des élections.
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