Mon voisin l'assassin, le défi de la réconciliation post-génocide au Rwanda

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Kigali (AFP)

Il y a 20 ans, Frédéric Kazigwemo massacrait les proches de Cécile Mukagasana, sa voisine dans le petit village de Mbyo où comme dans de nombreuses localités rwandaises, victimes et bourreaux cohabitent en tentant difficilement de se réconcilier.

Entre avril et juillet 1994, environ 800.000 Rwandais, principalement issus de la minorité tutsi, furent massacrés en une centaine de jours par leurs voisins, collègues et parfois amis hutu.

Frédéric faisait partie des assassins.Avec un groupe de Hutu armés de machette et de lances, il a massacré plusieurs personnes, dont deux membres de la famille de Cécile.

"Au début, c'était difficile de vivre ici car le mari de cette femme a tué des membres de ma famille", admet Cécile en tressant des paniers, assise à côté de l'épouse de Frédéric pendant que leurs enfants jouent dans l'herbe.

Frédéric a été jugé par un tribunal traditionnel gacaca et condamné à une peine réduite, après avoir admis sa culpabilité et présenté des excuses.Comme Cécile, il est revenu vivre à Mbyo, devenu un "village de la réconciliation" selon une ONG chrétienne.

Celle-ci y a aidé victimes et bourreaux à reconstruire leurs logements, souvent détruits, en échange du pardon et de la participation à des activités communes.Objectif: encourager la cohabitation entre victimes et bourreaux afin de favoriser la réconciliation, loin d'être évidente.

"Avant que je demande pardon, mon coeur n'était pas en paix (...) Je voyais parfois les visages de ceux que j'ai tués.Maintenant je ne les vois plus", confie Frédéric.

Dans les villages de la campagne rwandaise, les victimes cohabitent, souvent contraintes et forcées, avec ceux qui ont parfois massacré toute leur famille 20 ans auparavant et sont revenus chez eux après être sortis de prison.

Plusieurs associations y ont mis sur pied des projets communautaires et des coopératives afin de faire oublier les désirs enfouis de vengeance, encore présents, même si tus.

 

- Traumatisme collectif -

 

"Les gacaca ont fait beaucoup pour la justice et pour juger les assassins, mais nous avons aussi besoin de réconciliation", explique Dieudonné Gahizi-Ganza, fondateur de Best Hope Rwanda, une ONG qui conseille les victimes de viols ainsi que les enfants de victimes et d'assassins.

"Les traumatismes peuvent parfois être transmis d'une génération à l'autre", note-t-il.

Jean-Baptiste Habyarimana, secrétaire exécutif de la Commission nationale pour l'Unité et le Réconciliation du Rwanda, rappelle qu'"après le génocide, il y avait plus de 300.000 orphelins et 500.000 veuves (...) Il n'est pas facile pour eux de s'en remettre".  

Vestine Mukandahiro, qui vit dans un faubourg de Kigali, a dû se réconcilier avec sa propre fille, née d'un viol durant le génocide.Elle avait 13 ans en 1994 quand la quasi-totalité de sa famille a été massacrée à la machette et qu'elle a été violée alors qu'elle s'enfuyait à travers champs.

"Après sa naissance, je ne pensais pas pouvoir vivre avec ma propre fille parce que chaque fois que je regardais son visage, je repensais au viol", raconte-t-elle.Dans son village, elle est de surcroît traitée "comme une prostituée" pour avoir apporté "un enfant du malheur" dans la communauté.

De nombreux programmes ont permis d'éduquer les communautés afin de limiter largement ce type de stigmatisations.

Vingt ans après, le Rwanda poursuit le difficile travail de réconciliation malgré le poids des massacres, dont le souvenir imprègne toujours la société rwandaise et qui a été ravivé par l'approche des commémorations du génocide.

Les mots Hutu et Tutsi sont désormais tabous et bannis de tous les documents officiels, mais restent présents dans les esprits.

La génération post-génocide, qui n'a rien connu des massacres, doit elle aussi affronter le traumatisme collectif.Les seuls loisirs parascolaires qu'Yvette, 19 ans, parvient à citer sont des groupes de discussion sur le sida et les drogues et le "Club plus jamais", où elle et ses camarades dissertent sur le génocide.

"Notre génération doit faire de gros efforts pour être certaine que ce qui est arrivé ne se reproduise jamais", explique-t-elle.

 

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