Sa viande à l'arrière-goût particulier peut surprendre les palais occidentaux mais les Ivoiriens en raffolent : l'agouti, gros rongeur de brousse, a disparu des "maquis", petits restaurants locaux, les autorités craignant qu'il ne transmette le virus Ebola.
A Bouaké (centre), deuxième ville de Côte d'Ivoire, l'agouti, sorte de gros ragondin pouvant atteindre un demi-mètre de long, au pelage marron foncé, n'a plus la cote.Chasseurs et restaurateurs font triste mine.
Les consignes de la ministre de la Santé Raymonde Goudou Coffie, appelant fin mars à délaisser ce rongeur, ainsi que le porc-épic, "jusqu'à être sûr qu'il n'y a plus de risques", pénètrent les esprits à marche forcée.
La semaine dernière, ces recommandations n'étaient pas toujours respectées dans le plus grand marché de viande de brousse de Bouaké, avait constaté l'AFP.
Emile, la quarantaine, légèrement éméché, commandait ouvertement "de la viande d'Ebola", soit de l'agouti braisé."Ebola ne résiste pas à l'alcool ni à l'eau chaude", assurait Rigobéli, au visage scarifié, après s'en être repu.Plus loin, un chasseur alléchait le client, un rongeur mort à la main.
De telles scènes appartiennent au passé.L'interdiction de manger de la viande de brousse (antilopes, chimpanzés, porc-épics, agoutis, etc.) est désormais appliquée sur le terrain.Le marché qui lui est consacré à Bouaké est vide.
Des agents de l'Etat (eaux et forêts ou services d'hygiène) patrouillent partout dans le pays en quête de contrevenants. A Yamoussoukro, la capitale ivoirienne, 200 kilos de gibier fumé ont ainsi été brûlés lundi.
L'enjeu est de taille.Les fièvres hémorragiques, dont Ebola, sont au départ véhiculées par des animaux sauvages.Les chauve-souris sont désignées comme l'agent transmetteur pour l'épisode actuel.
Les humains se contaminent ensuite entre eux par contact direct avec le sang, les liquides biologiques ou les tissus des sujets infectés.
L'épidémie, parmi celles qui posent "le plus de défis" depuis l'apparition de la fièvre Ebola il y a 40 ans, a déjà fait 101 morts en Guinée, son épicentre, depuis janvier dernier, selon l'OMS.Une dizaine de cas mortels ont aussi été relevés dans les Etats voisins, Liberia, Sierra Leone, Mali.
La crainte d'Ebola, mortel dans 90% des cas, est vivace en Côte d'Ivoire, voisine de la Guinée, même si le pays n'est pour l'instant pas touché, selon les autorités.
Les populations intègrent progressivement les consignes.
- "On préfère sauver nos vies" -
"On aime bien l'agouti mais on préfère sauver nos vies", affirme Ernest, la trentaine, à l'AFP."En Ivoirien, j'apprécie cette viande.Mais avec le risque d'Ebola, j'ai changé, je n'en consomme plus", témoigne un peu plus loin Kassoum.
Mais tous ne jouent pas le jeu.Une restauratrice, sous couvert d'anonymat, raconte l'existence d'un "code" avec ses plus fidèles consommateurs.
"Lorsqu'il arrivent, ceux qui ne peuvent pas se passer d'agouti me font signe en cachette et je fais croire aux autres clients que je leur sers du b�?uf", explique-t-elle.
Autre restauratrice spécialiste du gibier convertie malgré elle au b�?uf et au poisson, Adèle Coulibaly, 48 ans, qui a perdu une grande partie de sa clientèle et donc ses revenus, met en doute les directives gouvernementales.
"Je suis née et j'ai trouvé ma mère en train de faire ce commerce, il n'y a jamais eu de maladie", remarque-t-elle.Et d'affirmer : "la viande de brousse n'a rien avoir avec Ebola".
A l'inverse, l'épidémie pourrait aider la faune sauvage à se régénérer.Un arrêté prohibant la chasse au gibier a bien été promulgué en 1974.Mais faute d'empêcher sa consommation, il était peu suivi d'effets.
Agoutis, antilopes, chimpanzés, porc-épics, etc.tous en danger d'extinction en Côte d'Ivoire, vivent donc quelques semaines de répit.
Ironiquement, "Ebola est une bonne chose pour la préservation de la faune", remarque le colonel Jérôme Aké, directeur régional des Eaux et forêts de Yamoussoukro.
Pour la nature également.Les chasseurs traquent le gibier en allumant de gros feux de brousse, qu'ils ne maîtrisent pas toujours.
En dix ans, ces incendies ont tué 120 personnes et détruit plus de 5.000 kilomètres carrés de terres et de forêts en Côte d'Ivoire, soit deux fois la superficie du Luxembourg.Leur nombre devrait diminuer le temps d'Ebola.
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