Elle a marché durant des jours en pleine brousse, affamée et épuisée.Hormis le pagne qu'elle portait ce jour-là, Hannatu John n'a plus rien.Ou plutôt si.Elle a la vie sauve.
Avec ses deux filles, cette femme aux traits fatigués a réussi à fuir Mubi, ville du nord-est du Nigeria conquise par les islamistes de Boko Haram le 29 octobre, avant d'être reprise cette semaine par l'armée et des milices.Hannatu a rejoint le camp de réfugiés de Minawao, dans le nord du Cameroun.
Assise sur une natte dans la poussière, elle raconte cette journée terrible."Tôt le matin, nous avons entendu des coups de feu partout dans la ville.Les Boko Haram faisaient du porte-à-porte pour chercher les gens.Ils demandaient aux chrétiens de se convertir à l'islam, sinon ils nous tueraient", raconte-t-elle.
"Avec mes filles, nous nous sommes réfugiées dans l'église mais ils ont mis le feu.Alors nous avons essayé de fuir vers un village voisin, mais les Boko Haram contrôlaient déjà les routes et avaient installé des barrages.Ils nous poursuivaient, et nous avons été obligées de courir nous cacher dans la brousse" durant plusieurs jours, poursuit Hannatu.
Son mari, qui est resté calfeutré dans leur maison à l'arrivée des islamistes, n'a pas réussi à s'enfuir.Mais il lui a promis de les rejoindre dès que possible."J'ai appris qu'il était devenu musulman.C'était ça ou la mort", affirme-t-elle sans sourciller, le regard perdu dans le vide.
- Caché sous les cadavres -
Suite à l'afflux massif de réfugiés depuis quelques semaines, 17.000 personnes s'entassent aujourd'hui dans le camp de Minawao, alors que selon les estimations du Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), 4.000 à 5.000 nouvelles personnes arrivent dans l'Extrême Nord du Cameroun chaque semaine.Parmi elles, environ 70% de femmes et d'enfants.
Mubi, Bama, Banki, Pulka...Ils arrivent de toutes les villes où les insurgés ont mis en déroute l'armée nigériane, multipliant les massacres de civils.
Cela fait déjà presque un an qu'Ayuba Ishaku, jeune chrétien de 29 ans, est arrivé au camp, la nuit de Noël.Caché sous des cadavres, il a vu son père mourir égorgé sous ses yeux avant de s'enfuir.
"Je ne pourrai jamais oublier les horreurs que j'ai vues là-bas (au Nigeria).J'ai encore peur", explique-t-il.
Apollos Luka, 25 ans, étudiant à Maiduguri, capitale de l'Etat de Borno, rendait visite à ses parents "au village", lorsque les Boko Haram les ont attaqués il y a deux mois.
"Ils ont commencé à encercler le village, alors les militaires postés là ont conseillé aux hommes de les suivre s'ils voulaient rester en vie.Eux étaient déjà en train de plier bagage".
"Nous avons donc fui avec nos soldats en direction des montagnes et nous sommes restés là deux semaines.Nos femmes restées au village ont été forcées à porter le voile intégral.C'est elles qui nous ont nourris.Elles nous apportaient des vivres cachées sous leurs vêtements", raconte le jeune homme, qui a finalement gagné le Cameroun, toujours dans le sillage des militaires nigérians.
- Mort d'épuisement -
Située à une cinquantaine de kilomètres de la frontière, la petite ville camerounaise de Mora abrite aussi quelques 400 réfugiés qui doivent être acheminés à Minawao.
Ceint par un foulard orange, le beau visage de Falamata Kaigama montre des signes d'impatience.La jeune femme est arrivée il y a 15 jours, et espère bien retrouver son mari dans le camp de Minawao.
"Nous nous sommes enfuis chacun de notre côté.Je suis seule ici et je ne sais pas quoi faire", raconte-t-elle avec pudeur.Le bébé qu'elle portait est mort peu après sa naissance, sur le chemin de l'exil.
Un exemple d'une triste banalité, selon Michel Koumery, responsable de la Croix-Rouge à Mora."Beaucoup meurent en route, après avoir marché des kilomètres, explique ce retraité.L'autre jour, un vieil homme est mort d'épuisement et de maladie en arrivant chez nous".
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