La foule déterminée avait défié toute la journée de mercredi le régime devant ce QG de l'armée, dont les intentions, tout comme celles de la police, restent incertaines dans le rapport de force entre pouvoir et manifestants.
Signe que le président Omar el-Béchir n'est pas prêt à céder à la pression de la rue, le parti du Congrès national (NCP) au pouvoir a appelé l'ensemble de ses membres à un rassemblement de soutien au chef de l'Etat jeudi à Khartoum.Mais mercredi soir ce rassemblement a été reporté à une date non précisée.
Réunis devant le QG de l'armée depuis samedi, des milliers de Soudanais demandent inlassablement la démission du président Béchir, 75 ans, au pouvoir depuis trois décennies.
Les protestataires étaient toujours massés mercredi soir devant le complexe, chantant et dansant au son de chants révolutionnaires, ont déclaré des témoins.
- "Service de nuit" -
"Les gens arrivent en masse", a dit l'un d'eux sans révéler son identité pour des questions de sécurité."Des hommes et des femmes de toutes les coins de Khartoum et d'autres villes viennent pour ce qu'ils appellent le service de nuit".
Depuis samedi, les contestataires ont essuyé à plusieurs reprises les assauts du puissant service de renseignement NISS, qui a tenté en vain de les disperser à coups de gaz lacrymogène, selon les organisateurs des manifestations.
Mardi, 11 personnes dont six membres des forces de sécurité ont été tuées lors de manifestations à Khartoum, a rapporté mercredi le porte-parole du gouvernement Hassan Ismail, sans préciser les circonstances de leur mort, selon l'agence de presse officielle Suna.
En tout, 49 personnes sont mortes dans des violences liées aux manifestations depuis que ces rassemblements ont commencé en décembre dernier, selon des responsables.
Aucune tentative de dispersion n'a été rapportée pour la journée de mercredi.
- "Protéger les citoyens" -
Agitant des drapeaux nationaux et entonnant des chansons révolutionnaires, les contestataires ont appelé l'armée à rejoindre leur mouvement de contestation, né en décembre mais qui a connu un net regain de mobilisation samedi.
Devant le QG de l'armée, la nuit de mardi à mercredi a été la première passée sans "menace" de la part des forces de sécurité, a déclaré un protestataire sous couvert de l'anonymat.
"Il semble que la police soit avec nous aussi", a estimé un manifestant.
Mardi, la police avait annoncé avoir ordonné à ses forces de ne pas intervenir contre les contestataires.Elle a aussi dit vouloir l'union du "peuple soudanais (...) pour un accord qui soutiendrait un transfert pacifique du pouvoir".
Concernant les militaires, leurs intentions restent pour l'instant inconnues.Dans un communiqué publié lundi, le général Kamal Abdelmarouf, chef d'état-major de l'armée, a précisé que celle-ci continuait "d'obéir à sa responsabilité de protéger les citoyens".
Mercredi, les organisateurs de la contestation ont indiqué avoir reçu "plusieurs membres et des dirigeants" du groupe paramilitaire des Forces de soutien rapide qui souhaitent rejoindre le mouvement.
Ce groupe est officiellement sous le contrôle de l'armée mais il est surtout composé de milices arabes qui ont combattu aux côtés des forces gouvernementales au Darfour (ouest), au cours des premières années d'un conflit ayant fait plus de 300.000 morts et 2,5 millions de déplacés selon l'ONU.
- "Révolution" -
Selon une manifestante devenue célèbre sur les réseaux sociaux après la large diffusion d'une vidéo d'elle en train de chanter parmi la foule, les Soudanaises jouent un rôle essentiel dans la mobilisation actuelle.
"Les femmes soudanaises ont toujours participé aux révolutions dans ce pays", a affirmé à l'AFP Alaa Salah."Je suis très fière de participer à cette révolution et j'espère que nous atteindrons notre but."
Mercredi soir, Alaa Salah a indiqué sur Twitter avoir reçu "des menaces de mort"."Je ne plierai pas.Ma voix ne peut pas être supprimée", a écrit la jeune femme.
L'étincelle de départ de la contestation a été la décision du gouvernement de tripler du prix du pain le 19 décembre.
A travers le pays, des milliers de Soudanais ont appelé au départ de M. Béchir.Le président a tenté de réprimer la contestation par la force, puis a instauré le 22 février l'état d'urgence à l'échelle nationale.
Mardi, des capitales occidentales ont appelé les autorités à répondre aux revendications "d'une façon sérieuse".
Le pouvoir doit proposer "un plan de transition politique crédible", ont écrit les ambassades des Etats-Unis, du Royaume-Uni et de la Norvège dans un communiqué conjoint à Khartoum.
Mercredi, Washington a exhorté le pouvoir à respecter le droit de manifester."Nous appelons le gouvernement du Soudan à respecter les droits de tous les Soudanais à exprimer leurs doléances pacifiquement", a tweeté Tibor Nagy, secrétaire d'Etat adjoint chargé de l'Afrique.
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