La ville montagneuse du Kef, dans le nord-ouest de la Tunisie, n'est plus qu'une boule de nerfs.Ses habitants viennent de vivre un week-end de violences qui ont fait deux morts, sur fond de pillages et d'incendies.
Ils n'en peuvent plus d'avoir été contraints au silence pendant 23 ans sous Ben Ali."Dites-leur!Mais dites-leur ce qui se passe!On a tellement besoin de parler", lance un vieil homme à un journaliste de l'AFP.
Autour, 200 à 300 personnes se sont agglutinées avec un seul et même message: "Qu'on nous entende!".
La police a totalement disparu de la ville mais les militaires postés alentour, nerveux eux aussi, regardent d'un mauvais oeil cet attroupement.La veille, à quelques rues de là, l'immeuble abritant le siège de la police a totalement brûlé.Des carcasses de voitures calcinées gisent au pied du bâtiment noirci jusqu'au toit.
"Il ne faut pas nous en vouloir après 23 ans de silence et de frustration", poursuit le vieil Abdallah agrippé à sa pauvre carriole de fruits, comme s'il s'excusait.
Lundi, écoles et commerces restaient fermés, mais le calme semblait revenu dans la ville qui a enterré la veille deux habitants abattus samedi par le chef de la police locale.
Tout avait commencé pacifiquement.Des centaines d'habitants réclamaient le départ du commissaire Khaled Ghazouani, accusé d'abus de pouvoir.Tout a basculé quand le gradé a giflé une manifestante, raconte Jalal, le frère de Fathi Laalaï, un coiffeur de 49 ans tué samedi.
Conspué par la foule, le commissaire a sorti son arme et tiré sur un jeune homme de 17 ans, Ahmed Khammassi, qui prenait des photos avec son téléphone portable."Mon frère Fathi s'est précipité pour prendre le jeune dans ses bras", explique Jalal Laalaï."Quand il a vu qu'il ne respirait plus, il est devenu fou de colère et s'est jeté sur le commissaire en l'insultant.Et le commissaire a tiré à nouveau".
La gifle de trop au Kef, comme à Sidi Bouzid, plus au sud, pour Mohamed Bouazizi dont le suicide par le feu le 17 décembre avait déclenché la révolte qui a chassé du pouvoir Zine El Abidine Ben Ali le 14 janvier.Mais l'ex-président a laissé derrière lui sa police et son parti, le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD).
"Au diable le RCD", crie une personne dans la foule.D'autres embrayent immédiatement.
"Ils (le RCD) sont allés chercher des ivrognes dans certains quartiers de marginaux et ils les ont payés pour s'attaquer aux biens des gens", assure Kaef, un enseignant du primaire.
Tard dimanche soir, quelques commerces et maisons ont encore été attaqués."Les milices du RCD!", accuse un habitant.
Ces deux jours de violence ont fait deux morts et une quarantaine de blessés, dont un homme gravement brûlé dans l'incendie du siège de la police.
Alors qu'à Tunis, le gouvernement a annoncé dimanche soir la "suspension" et à terme la dissolution du RCD, les gens du Kef n'en démordent pas et voient la main du parti-Etat derrière tous leurs malheurs.
"Même si on le dissout, ses affidés, ses milices sont toujours là", affirme l'enseignant.
"Relayez-ça, s'il vous plaît: je lance un appel au ministre de l'Intérieur, au ministre de la Défense: ramenez la sécurité!", dit à l'AFP Aida Ayari, une experte comptable de 25 ans.
"Il y a trop de chômage ici, trop de problèmes, mais avant tout on veut que toutes ces attaques arrêtent, on veut une vie normale!"
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