Nombre d'observateurs voient dans le retour d'exil des deux "frères-ennemis" la volonté de Bozizé --rallié par une partie de l'opposition-- de revenir à la tête de l'un des pays les pauvres d'Afrique.Des velléités que Touadéra tenterait de contrer en s'alliant avec Djotodia, lequel n'en pense pas forcément moins à l'horizon du scrutin.
Ces manœuvres sont potentiellement explosives dans un pays où la guerre civile continue de faire des victimes malgré la signature d'un accord de paix entre tous les belligérants à Khartoum il y a près d'un an, et alors que plus des deux tiers du territoire sont encore sous la coupe de groupes armés rebelles.
La présidentielle est prévue pour la fin 2020.
M. Bozizé est revenu en catimini le 16 décembre mais ne s'est affiché en public que six jours plus tard, pour un bain de foule devant des milliers de supporters l'exhortant à "reprendre le pouvoir".
A ce jour, il n'a pas été reçu par le président Touadéra."M.Bozizé est entré en Centrafrique dans des conditions obscures et pose des conditions à une rencontre", rétorque le porte-parole du gouvernement Ange Maxime Kazagui.En revanche, le chef de l'Etat a reçu M. Djotodia aussitôt descendu de l'avion vendredi.
"Une arrivée planifiée et négociée", assure Nathalia Dukhan, experte de la Centrafrique pour l'ONG américaine anticorruption The Sentry."Déjà très impopulaire, le pouvoir actuel démontre qu'il n'a qu'un objectif: la réélection" de Touadéra, "quel qu'en soit le coût", poursuit-elle, estimant à contrario que Bozizé, lui, "est toujours très populaire (...) ce qui menace directement cette réélection".
Rosmon Zokoué, président de l'Association des blogueurs centrafricains (ABCA) ne dit pas autre chose: "Le retour de Djotodia, c'est une stratégie du pouvoir, Touadéra se garantit ainsi le soutien des électeurs des territoires sous influence de l'ex-Séléka grâce au soutien de Djotodia".
- Mandat d'arrêt -
François Bozizé, qui a pris le pouvoir à l'issue d'un coup d'Etat en 2003, a été renversé par les armes 10 ans plus tard par Michel Djotodia, chef de la Séléka à majorité musulmane.Puis des combats meurtriers ont opposé la Séléka à des milices d'autodéfense dominées par les chrétiens et animistes, les anti-balaka, cornaquées depuis son exil ougandais par Bozizé.
Après une intervention de l'armée française, la Séléka a abandonné Bangui début 2014, contraignant Djotodia à la démission.Touadéra a été élu président en janvier de la même année mais n'est pas parvenu à stopper les combats, malgré la présence d'une force multinationale de l'ONU.
Si Djotodia a échappé, jusqu'à aujourd'hui, aux foudres des justices internationale et centrafricaine, il n'en va pas de même pour Bozizé: l'ONU a décrété des sanctions contre lui et la Centrafrique émis un mandat international, notamment pour "crimes contre l'Humanité".
Son entourage a souligné dès son retour que Bozizé est rentré juste à temps pour se présenter à la présidentielle, la loi électorale imposant de résider depuis au moins un an en Centrafrique.
Cependant, "la situation juridique de Bozizé est beaucoup plus compliquée que celle de Djotodia" au regard du mandat d'arrêt, estime l'analyste Thierry Vircoulon, spécialiste de l'Afrique centrale à l'Institut français des relations internationales (IFRI).Son éligibilité n'est pas encore acquise et le camp Touadéra pourrait se montrer moins conciliant si sa réélection paraît en danger, au risque d'enflammer la campagne.
- "Course contre la montre" -
"A moins d'un an de la présidentielle, tous les clans politiques sont engagés dans la course contre la montre", analyse Mme Dukhan.
Attention aussi, préviennent certains observateurs: si les ambitions de Bozizé sont claires, celles de Djotodia restent floues."L'avenir appartient à Dieu", répond l'intéressé sur ce plan.
Par ailleurs, Djotodia demeure le chef politique du principal groupe armé rebelle de Centrafrique, le Front pour la Renaissance de la Centrafrique (FPRC), qui contrôle le nord-est en y multipliant meurtres, pillages et viols, rappelle à l'AFP Lewis Mudge, directeur Afrique centrale de l'ONG Human Rights Watch (HRW).
Une situation potentiellement explosive pour une campagne électorale donc, dans un pays toujours en guerre civile malgré une accalmie depuis l'accord de Khartoum en février 2019.
"C'est un mauvais signe que Bozizé, pourtant sous sanctions, puisse être réintégré dans le paysage politique.De même la Séléka a commis des crimes de guerres et contre l'Humanité et Djotodia était à sa tête, cela montre que le cycle de l'impunité n'est pas rompu", s'inquiète M. Mudge.
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