En l'espace de deux jours, Bissau a connu une succession de faits accomplis dont rien, a priori, ne permet de discerner le dénouement mais dans lesquels l'armée, actrice de premier plan des crises bissau-guinéennes, s'est engagée vendredi sans qu'apparaissent les limites de son implication future.
Jeudi, deux mois après le second tour d'une présidentielle toujours pas définitivement tranchée, celui qui a été déclaré vainqueur par la commission électorale nationale, Umaro Sissoco Embalo, a forcé le cours des évènements sans attendre que soit vidée la querelle post-électorale, et s'est fait investir président par son prédécesseur.
Depuis la présidentielle du 29 décembre, le pays est le théâtre d'un bras de fer entre M. Embalo, ancien général et ancien Premier ministre régulièrement coiffé d'un keffieh, et son adversaire Domingos Simoes Pereira, autre ancien Premier ministre.
C'est aussi une confrontation entre ceux qui ont rallié M. Embalo, issu de l'opposition, et le Parti africain pour l'indépendance de la Guinée et du Cap Vert (PAIGC), qui domine la vie politique de cette ancienne colonie portugaise depuis son indépendance en 1974.
M. Embalo a été donné vainqueur par la commission électorale avec 53,55%.M. Pereira, crédité de 46,45%, et le PAIGC dénoncent des fraudes et réclament qu'on recompte les votes.
- Intervention de l'armée -
M. Embalo est passé outre à une décision toujours attendue de la Cour suprême, saisie par le PAIGC: après avoir ceint l'écharpe de président jeudi, il s'est installé dans le palais présidentiel.
Vendredi, il a démis le Premier ministre (PAIGC) Aristides Gomes, reconnu par la communauté internationale, et a nommé à sa place un de ses partisans, Nuno Gomes Nabiam, candidat malheureux à la présidentielle qui a rejoint son camp entre les deux tours, avec d'autres résolus à battre le PAIGC.
L'investiture de M. Nabiam et la présentation de son gouvernement sont annoncées samedi.
La crise s'est emballée vendredi quand 52 députés du PAIGC et de formations sympathisantes ont convoqué une session spéciale.Ils y ont constaté "la vacance du pouvoir" et nommé président par intérim le président de l'Assemblée nationale, Cipriano Cassama, membre du PAIGC, celui-là même qui avait refusé cette semaine d'accorder sa caution à l'investiture de M. Embalo.
M. Cassama est censé s'adresser au pays samedi.
Dans la soirée de vendredi, des militaires se sont établis dans les institutions du pays et ont pris le contrôle de la radio et de la télévision, sans qu'on sache si l'armée a choisi un camp et lequel.
Elle agit pour "garantir la stabilité et la paix, contrôler les institutions de manière à éviter d'éventuels troubles à l'ordre public", a dit à l'AFP un officier s'exprimant sous le couvert de l'anonymat.
- Absence du corps diplomatique -
C'est le dernier épisode en date d'une histoire contemporaine chaotique, jalonnée de coups d'Etats ou de tentatives, le dernier putsch remontant à 2012.
Depuis 2014, le pays s'est engagé vers un retour à l'ordre constitutionnel, ce qui ne l'a pas préservé de turbulences à répétition, mais sans violence, entre le camp du président sortant et le PAIGC.
Le pays d'1,8 million d'habitants, l'un des plus pauvres de la planète, a pourtant un besoin pressant de réformes qu'a entravées la paralysie des dernières années.
Les narcotrafiquants utilisent le territoire pour faire transiter la cocaïne d'Amérique latine vers l'Europe, avec la complicité suspectée de cadres de l'armée.
C'est, avec la stabilité, l'un des grands enjeux pour la communauté internationale qui observe la situation.Le corps diplomatique était notoirement absent jeudi de la cérémonie où M. Embalo s'est fait investir.
La situation "risque d'aggraver la crise que connaît de longue date la population", s'est inquiété la Commission européenne.L'investiture d'un président devrait intervenir "au terme des procédures légales", a dit un porte-parole dans une apparente référence à la décision en suspens de la Cour suprême.
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