Au 26 mars, 73 décès pour 2.748 cas de Covid-19 avaient été officiellement recensés en Afrique.C'est à l'heure actuelle l'un des continents les moins touchés par la pandémie, mais l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) a appelé dès le 18 mars les dirigeants africains à "se préparer au pire".
De nombreux pays ont pris récemment des mesures (fermeture des frontières, confinement...) pour éviter la diffusion du virus.
Mais les considérations sanitaires pèsent parfois bien peu face à la puissance des réseaux sociaux et des messageries instantanées, où pullulent remèdes de charlatans (infusions d'ail ou de fenouil, gargarismes d'eau vinaigrée...), fausses découvertes scientifiques et annonces officielles imaginaires.
Ce bouche-à-oreille "2.0", à l'écho aussi retentissant qu'instantané, inquiète sur un continent où les conditions d'hygiène et les infrastructures sanitaires sont moindres qu'en Europe et en Asie, lourdement frappées par le coronavirus.
Si des plateformes comme Facebook et Twitter tentent de juguler la diffusion d'informations trompeuses sur leurs réseaux, en Afrique la majorité de ces publications circulent dans des groupes de discussion privés WhatsApp, messagerie la plus répandue sur le continent.
"C'est un nouveau défi auquel nous faisons face, un grand défi", estime Thumbi Ndung'u, directeur d'un centre de recherche sur les maladies infectieuses (SANTHE) à Durban (Afrique du Sud), en pointant toutefois des situations différentes sur continent.
"En Afrique du Sud, par exemple, la méfiance envers le gouvernement est grande (...) A l'inverse, les populations au Rwanda et au Botswana ont plus confiance et les messages pourraient mieux passer”, souligne-t-il.
- "Faux malades" -
En République démocratique du Congo (RDC), déjà frappée par une dizaine d'épidémies d'Ebola dont la dernière a fait 2.264 morts, l'annonce le 10 mars du premier cas de coronavirus a été remise en question sur les réseaux sociaux.
"Cette affaire de coronavirus à Kin (Kinshasa, ndlr) me rappelle l'affaire d'Ebola business à Beni (ville de l'est du pays, ndlr).Tout était fait pour créer des faux malades afin d'empocher les fonds des bailleurs internationaux", affirmait ainsi un internaute dans un groupe WhatsApp.
Quatorze jours plus tard (le 24 mars), la RDC comptait 48 cas de coronavirus, dont trois décès.
Au Nigeria, le refus des autorités de dévoiler l'identité des personnes atteintes, au nom du secret médical, a déclenché les mêmes accusations, sur fond de soupçons similaires de détournement de fonds lors d'une précédente épidémie d'Ebola dans le pays en 2014.
Dans ce pays, le plus peuplé d'Afrique qui comptait officiellement une cinquantaine de cas au 25 mars, des auditeurs ont également contesté récemment à la radio l'interdiction des rassemblements dans le pays, estimant que le gouvernement n'avaient qu'à fermer les frontières et que la chaleur tuerait ensuite le virus.
De nombreuses publications virales affirment en effet une prétendue immunité ou résistance génétique des Noirs, pourtant démentie par les scientifiques, ou que le SARS-Cov2 ne résisterait pas à la chaleur, ce qui n'a pas été prouvé.
Selon un sondage de l'organisme NOIPolls le 18 mars, 26% des Nigérians se pensent immunisés contre le coronavirus pour des raisons religieuses, génétiques ou climatiques.
- Prison -
"Si les gouvernements ne communiquent pas suffisamment ou donnent le sentiment de cacher des informations, alors des gens s'introduisent dans cet espace laissé vide.Et ils n'ont pas tous de bonnes intentions", résume le professeur Ndung'u.
En Afrique du Sud, pays le plus touché d'Afrique avec 709 cas recensés au 25 mars, le gouvernement a lancé un site internet sur le coronavirus, un numéro vert et une ligne dédiée sur WhatsApp.
"Il faut arrêter de répandre de fausses nouvelles (...) Il faut que les gens soient bien informés pour éviter de créer la panique et des problèmes supplémentaires", exhortait dès le 6 mars le ministre de la Santé Zweli Mkhize.
Le 19 mars, les autorités ont ajouté un volet répressif.Dans la foulée de la déclaration de l'état d'urgence par le président Ramaphosa, une loi prévoyant une amende et/ou une peine de prison maximale de six mois pour la diffusion de fausses informations a été promulguée.
Au Kenya, deux personnes, dont un célèbre blogueur, ont été arrêtées en vertu d'une loi controversée sur la cybercriminalité de 2018 pour avoir partagé des contenus trompeurs sur le coronavirus.
Ils encourent des peines allant jusqu'à dix ans de prison et une amende de cinq millions de shillings kényans (43.000 euros).
- "A double tranchant" -
"Chaque épidémie s'accompagne d'une épidémie de rumeurs", explique le virologue congolais Jean-Jacques Muyembe qui, après avoir piloté la lutte contre la récente épidémie d'Ebola en RDC, a été chargé de mener la riposte face au coronavirus.
"Les réseaux sociaux, c'est un couteau à double tranchant", estime-t-il: "C'est un instrument très dangereux" qui permet à certains de "profiter de la naïveté de la population", mais aussi un outil qu'"il faut savoir utiliser".
Selon lui, l'enjeu est d'opposer un contrepoids: "S'il y a une masse critique de journalistes qui donnent la bonne information, on peut détruire toute fausse information qui arrive", estime-t-il.
Lors de l'épidémie d'Ebola, dont la fin est prévue pour le 12 avril, les autorités congolaises communiquaient régulièrement les données épidémiologiques et les bonnes pratiques de prévention, notamment via un compte Twitter dédié.
Cette bataille de l'information est titanesque sur un continent aussi vaste, où beaucoup de gens ne parlent que des langues locales ou des dialectes.
Kunle Omotosho, un médecin dans le sud-ouest du Nigeria, confiait récemment à l'AFP: "Vous seriez surpris de savoir le nombre de gens qui ne sont pas au courant" de la pandémie liée au coronavirus.
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