"Ils sont arrivés vers 16 heures, tout le monde a fui et je suis parti me réfugier chez moi", raconte Christian, habitant d'Alimosho, quartier populaire situé derrière l'aéroport de la capitale économique du Nigeria.
"Mais à la nuit tombée, avec une trentaine d'hommes de ma rue, on a rassemblé des couteaux, tout ce qu'on pouvait trouver, et on a fait des barricades de feu avec des pneus pour les empêcher de revenir", poursuit-il la voix encore nouée par la fatigue et l'émotion.
Il y a encore deux semaines, ce père de famille était chauffeur de bus.La nuit dernière, il s'est transformé en "milicien" pour protéger sa famille: "depuis hier, on n'a pas vu un seul véhicule de police", assure-t-il.
Dans de nombreux quartiers populaires de Lagos, capitale économique du Nigeria de 20 millions d'habitants, l'immense majorité de la population dépend de l'économie informelle pour se nourrir.
Mais pour lutter contre la propagation de l'épidémie de coronavirus qui a fait pour l'instant 10 morts dans le pays, plusieurs Etats, dont celui de Lagos et son voisin d'Ogun, ont adopté des mesures de confinement très strictes qui empêchent toute activité économique non essentielle.
- Braqués en plein jour -
Quelques heures seulement avant la fin de la première phase de 14 jours, qui devait s'achever lundi soir, le président Muhammadu Buhari a annoncé une prolongation de deux semaines supplémentaires, dans un climat social extrêmement tendu et une hausse des actes de criminalité.
L’Inspecteur général de la police a "ordonné le déploiement immédiat" de forces de sécurité dans les Etats de Lagos et d'Ogun.
"191 suspects ont été arrêtés en relation avec les incidents", a-t-il assuré dimanche soir.
Mais Chioma Okoro se désespère de voir la police dans son quartier d'Agege-Dopemu, non loin d'Alimosho."Ca fait des jours qu'on les appelle, ils ne viennent pas", témoigne la jeune femme.
"Dès qu'on passe la porte de la maison pour aller acheter à manger, on a peur", confie-t-elle à l'AFP."Si on va retirer de l'argent au distributeur, on risque de se faire braquer en plein jour.Si on va au marché, on surveille derrière nous, pour voir si quelqu'un nous suit".
La nuit dernière, elle a entendu des échanges de tirs."J'ai eu très peur", avoue-t-elle.
A Agbado, à la frontière entre les Etats de Lagos et d'Ogun, des résidents dressent des barricades de la tombée de la nuit jusqu'au lever du jour et s'arment de couteaux, de hâches et de barres de fer pour dissuader les criminels.
"Ce sont des +cultistes+, ces gangs qui terrorisent les communautés, qui profitent du confinement pour nous voler et violer nos femmes", explique Alhaji Mufu Gbadamosi, le chef traditionnel du quartier.
- Voler pour manger -
L'un de ses hommes, Dotun Alabi, a arrêté deux "gamins" pendant le weekend de Pâques alors qu'ils cambriolaient une maison."Ils nous ont dit qu'ils cherchaient quelque chose à manger".
Dans son allocution télévisée, le chef de l'Etat a annoncé qu'il étendrait la "liste des foyers bénéficiant des aides d'Etat de 2,6 millions de foyers à 3,6 millions dans les deux prochaines semaines".
Le gouvernement a également promis de distribuer 70.000 tonnes de céréales "à ceux qui en ont le plus besoin".
Mais ces mesures sont insignifiantes dans un pays de près de 200 millions d'habitants, qui compte le plus grand nombre de personnes au monde vivant sous le seuil de l'extrême pauvreté (plus de 87 millions en 2018) selon l'organisation World Poverty Clock.
"Le gouvernement doit mettre en place des mesures qui allient les efforts de santé publique pour empêcher la pandémie de se propager et empêcher que les plus pauvres et les plus vulnérables ne voient leur vie détruite", note un communiqué d'Human Rights Watch publié mardi.
HRW rappelle que le Nigeria, premier producteur de pétrole d'Afrique, est également sa plus grande économie avec un PIB par habitant de 2.028 dollars en 2018, "plus du double de ses voisins béninois, tchadien ou nigérien".
La situation est d'autant plus inquiétante que la faim et la criminalité semblent se diffuser dans tous les quartiers de la mégalopole.
A Obalende, un grand marché où travaille et vit la petite classe moyenne, les vols à la tire deviennent de plus en plus courants.
Beauty David, commerçante du quartier en a fait les frais il y a quelques jours.Malgré le confinement, elle vend quelques tongs sur un morceau de trottoir.
"Ils nous disent de rester à la maison encore deux semaines", s'emporte-t-elle."Mais sans argent, comment peut-on faire?On va mourir, on est en train de mourir."
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