Moratoire sur la dette des pays pauvres: un geste positif, mais très insuffisant pour l'Afrique

Infos. Un geste positif mais il faudra aller beaucoup plus loin: c'est l'avis largement partagé en Afrique après l'annonce d'un moratoire sur la dette pour aider les pays pauvres à faire face à la pandémie de coronavirus et à son impact dévastateur.

Moratoire sur la dette des pays pauvres: un geste positif, mais très insuffisant pour l'Afrique

"C'est une bouffée d'oxygène", estime Qutes Hassane Boukar, responsable de l'Analyse budgétaire d'Alernative espace citoyen (AEC), une des plus importantes ONG du Niger, après la décision du G20 mercredi de suspendre pour un an le service de la dette pour les pays les plus pauvres, dont une quarantaine de pays africains. 

"Il y a beaucoup de dépenses prévues dans le cadre de la lutte contre la pandémie du coronavirus, le fait qu'il y ait un moratoire permet à ces Etats de mobiliser les ressources qu'ils auraient pu engager pour rembourser la dette publique", explique M. Bukar. 

L'Afrique est encore relativement peu touchée par l'épidémie, selon les bilans officiels, mais l'on craint une flambée de la maladie sur un continent où les systèmes de santé sont notoirement insuffisants, ainsi que des conséquences économiques dévastatrices.

La Banque Mondiale et le Fonds monétaire international (FMI) ont averti que l'Afrique subsaharienne connaitra en 2020 sa première récession économique généralisée depuis 25 ans.

"Cette suspension de dette va permettre au pays africains de respirer un peu, mais elle ne vaut pas annulation", souligne Djidénou Kpoton, analyste économique béninois.

Le moratoire sur la dette des pays pauvres devrait "libérer 20 milliards de dollars", a précisé mercredi le ministre des Finances saoudien Mohammed al-Jadaan à l'issue du G20.L'endettement total du continent africain est estimé à 365 milliards de dollars, dont environ un tiers dû à la Chine.

Le moratoire "va permettre aux économies africaines de ne pas plonger dans l'immédiat, mais si on ne trouve pas d'autres solutions on va à la catastrophe", juge l'économiste ivoirien Jean Alabro.

- "Une insulte" -

"La plupart de nos économies dépendent de l'extérieur.Les deux tiers des exportations sont des matières premières ou des produits semi-finis.Or la demande internationale va s'effondrer et les prix avec", avertit l'économiste sénégalais Demba Moussa Dembélé, directeur du Forum africain des alternatives.

"La décision du G20 est ridicule, ce n'est pas à la hauteur de la situation.C'est une insulte à l'égard des pays pauvres", affirme-t-il.

Plutôt qu'un simple sursis pour les remboursements, économistes et acteurs de la société civile réclament une annulation complète des dettes.

En effet le moratoire "ne permet ni d’enclencher un cercle vertueux ni de donner un coup d’arrêt au processus d’endettement chronique des pays africains", explique Christian Abouta, évaluateur des politiques publiques au Bénin.

Pour l'économiste congolais Noël Magloire Ndoba, "c'est une manœuvre cosmétique (...) le vrai problème est celui de la dette en tant que telle, il faut l'annuler purement et simplement".

Annuler, oui, mais "sous réserve de réformes majeures.Car tant que nous avons des dirigeants qui confondent leur poche et la poche du pays, peu importe le nombre de moratoires ou d'annulations de dette, ça ne changera rien", fulmine l'opposant tchadien Masra Succès, président du Parti Les Transformateurs.

Au delà des questions de la dette et de la mauvaise gouvernance, qui sont cruciales, il faut aussi réformer en profondeur les économies africaines pour qu'elles soient moins dépendantes des marchés mondiaux et plus résilientes face aux crises, analyse Jean Alabro.

"Aujourd'hui les ministres des Finances africains sont considérés comme bons quand ils arrivent à emprunter de l'argent.Il faut qu'ils s'intéressent davantage à favoriser les entreprises locales plutôt que les multinationales, pour promouvoir la production locale et pour créer des emplois.Les dirigeants africains doivent bâtir des économies tournées vers l'intérêt des populations", conclut-il.

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