"Cela fait cinq semaines que je n'ai pas serré mes enfants dans mes bras", souligne Dr Jamoussi, avant d'enfiler blouses, masque et lunettes pour prendre sa garde au service de réanimation de l'hôpital Abderrahmane Memmi, à l'Ariana, près de Tunis.
Dans cet hôpital, l'un des principaux centres de référence pour l'épidémie Covid-19 en Tunisie, des infirmiers, femmes de service ou techniciens partent à chaque fin de garde avec leur valises.
Dans les unités dédiées à la maladie, il y a plutôt moins de patients que d'habitude car la pandémie, qui a fait 40 morts en deux mois, n'a pas débordé les hôpitaux tunisiens jusque-là.
Mais les centaines de travailleurs hospitaliers mobilisés sont néanmoins considérés "en guerre".Et pour épargner leurs proches dans ce combat, nombre d'entre eux vivent loin de leur famille alors que vient de débuter le mois sacré du ramadan, habituellement rythmé par les retrouvailles autour des repas familiaux.
Pas de belles tables dressées pour la rupture du jeûne: "on s'est juste permis de petites sorties en famille pour tenir le coup, de courtes promenades sans contact", explique Dr Jamoussi.
"Ils me manquent mais on n'a pas vraiment le choix".Cette joviale quadragénaire a un fils de sept ans et une fille de onze ans, "qui me demandent quand je vais changer de travail".
Durant leur semaine de garde et les 5 à 14 jours de confinement qui suivent, le personnel des unités Covid est hébergé dans des chambres d'hôtel, des foyers ou de simples locaux publics, en isolement.
Ceux qui vivent seuls ou qui ont une toilette séparée peuvent continuer à habiter chez eux --une minorité, les praticiens publics étant payés 2.000 à 3.600 dinars (700 à 1.200 euros) pour les médecins, et quelques centaines de dinars pour les autres corps de métier.
"J'ai eu très peur de contaminer ma famille, j'en faisais des cauchemars", raconte Dr Jamoussi, qui a quitté le domicile familial pour un petit appartement trouvé par ses propres moyens.
Certains soignants ont pu passer quelques jours en famille après leur quarantaine à condition d'être testés négatif et d'éviter les câlins.
- "Particulièrement difficile" -
La vie confinée est devenue "particulièrement difficile avec le ramadan", souligne Nawel Chaouch, cheffe du service pneumologie à l'hôpital Memmi."Il y a beaucoup de femmes parmi le personnel et déléguer la préparation des repas au mari n'est pas évident."
"Les soignants réclament sans cesse des tests pour pouvoir quitter le confinement le plus vite possible", ajoute-t-elle.
D'autant que les conditions sont parfois spartiates -- des infirmiers et médecins ont partagé sur les réseaux sociaux des photos de chambres sales, de sandwiches à la harissa peu nourrissants, et certains personnels sont restés bloqués des heures durant la fin de leur service dans l'attente d'un hébergement.
"Les débuts ont été compliqués", reconnaît Dr Chaouch.
Une centaine de soignants sont confinés hors de leur domicile dans la capitale, où se trouvent les principales unités Covid, selon le docteur Mohamed Rabhi, responsable du confinement obligatoire, sans pouvoir préciser le nombre de soignants confinés dans le reste du pays, où les conditions sont souvent plus précaires.
M. Rabhi reconnait qu'il n'est "pas toujours simple" de trouver des hébergements, d'autant qu'il y a selon lui de très nombreux confinements obligatoires en cours: outre les soignants, environ 150 malades non hospitalisés et 9.000 personnes rapatriées de l'étranger.
Le gouvernement n'a pas réquisitionné d'hôtels, comptant sur le volontariat des hôteliers qui ont répondu présents.Mais certains commencent à être réticents vu les coûts engendrés.
"Le plus dur c'est de voir certains collègues confinés dans de mauvaises conditions", souligne Dr Jamoussi, tout en saluant les donateurs privés qui ont aidé à équiper son service et améliorer le quotidien des soignants de première ligne.
"On ressent alors un manque de gratitude!", confie-t-elle.
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