Dans une lettre cinglante à l'institution panafricaine de développement, obtenue par l'AFP lundi, le secrétaire américain au Trésor Steven Mnuchin fait part de ses "sérieuses réserves" au sujet de la décision de la BAD de blanchir son président nigérian, Akinwumi Adesina, des graves accusations portées contre lui par des "lanceurs d'alerte" : "comportement contraire à l'éthique, enrichissement personnel et favoritisme", entre autres.
Alors que le comité d'éthique de la BAD avait très rapidement disculpé M. Adesina - en fonction depuis 2015 -, Steven Mnuchin demande "une enquête approfondie sur ces allégations par un enquêteur extérieur indépendant", dans son courrier daté du 22 mai, adressé à la présidente du bureau du conseil des gouverneurs de la BAD, la ministre ivoirienne du Plan et du développement Kaba Nialé.
"Considérant l'étendue, la gravité et la précision des allégations contre le seul candidat au leadership de la Banque pour les cinq prochaines années, nous pensons qu'une enquête plus approfondie est nécessaire pour que le président de la BAD bénéficie du soutien et de la confiance complets des actionnaires", insiste le secrétaire américain au Trésor.
La BAD n'a pas réagi dans l'immédiat.
"Avec cette lettre, les Etats-Unis actent leur volonté de faire partir Adesina", seul candidat pour un nouveau mandat de cinq ans, analyse un économiste ivoirien.
Ancien ministre de l'Agriculture du Nigeria, Adesina, spécialiste du développement, avait pourtant reçu le soutien de l'Union africaine et de la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest pour sa réélection à la tête de la BAD, une des cinq principales banques multilatérales de développement au monde.
La BAD compte 80 pays actionnaires (54 pays africains et 26 non africains, d'Europe, d'Amérique et d'Asie), le premier étant le Nigeria.Elle est la seule institution africaine cotée triple A par les agences de notation financière.
Mais "si les Etats-Unis désavouent Adesina, la crédibilité et la réputation de la BAD auprès des investisseurs internationaux sont remises en cause.On ne peut pas gagner un bras de fer contre les Etats-Unis", estime cet économiste.
- "trop de pouvoir" -
L'affaire aux allures de feuilleton a commencé en janvier, mais n'a été dévoilée publiquement qu'en avril.
Un groupe de "lanceurs d'alerte" anonymes se présentant comme des "employés préoccupés de la BAD" dressent alors un véritable réquisitoire contre leur président dans un document d'une quinzaine de pages détaillant de multiples accusations contre M. Adesina, premier Nigérian à diriger l'institution.
Ils lui reprochent son favoritisme dans de nombreuses nominations de hauts responsables, en particulier de compatriotes nigérians, et d'avoir nommé ou promu des personnes soupçonnées ou reconnues coupables de fraudes ou de corruption, ou encore de leur avoir accordé de confortables indemnités de départ sans les sanctionner.
M. Adesina réfute en bloc ces accusations.Un mois plus tard, la BAD lui donne raison.Affirmant "avoir procédé à un examen point par point de toutes les allégations contenues dans la plainte" des lanceurs d'alerte, le Comité d'éthique de la Banque conclut qu'elle "ne reposent sur aucun fait objectif et solide".
Les lanceurs d'alerte réclament alors une enquête indépendante.Jusqu'à ce que Washington leur emboîte le pas.
Personnage charismatique, doué d'un excellent sens de la communication, Akinwumi Adesina, 60 ans, a fait connaître la BAD sur les marchés internationaux, permettant d'attirer des capitaux pour le développement de l'Afrique.
La BAD a ainsi réalisé en octobre 2019 une augmentation de capital géante de 115 milliards de dollars, considérée comme un succès personnel pour son président.
En avril, réagissant promptement à l'épidémie de coronavirus, la BAD a annoncé la création d'un fonds de 10 milliards de dollars pour aider les pays africains.
"Mais dans sa façon de gérer la Banque, Adesina s'est fait aussi beaucoup d'ennemis", relève l'économiste ivoirien.
"Le président a trop de pouvoir.Il nomme qui il veut.Trop de cadres sont partis depuis cinq ans", confie un cadre de la BAD sous couvert d'anonymat, en ajoutant: "Il faut une réforme profonde pour diminuer son pouvoir".
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