La pandémie n'a pas favorisé de trêve politique comme dans d'autres pays du continent.Alors même que le Cameroun, avec plus de 5.300 contaminations au Covid-19 officiellement et près de 180 décès fin mai, est un des pays les plus touchés d'Afrique subsaharienne.
Au contraire, l'affrontement entre le pouvoir de M. Biya et le parti de M. Kamto se durcit, "chacun instrumentalisant la lutte contre l'épidémie", souligne pour l'AFP le politologue camerounais Sévérin Tchokonte.
Dirigé depuis 37 ans par le président Biya, le Cameroun est englué dans une crise politique depuis la réélection en octobre 2018 du chef de l'Etat aujourd'hui âgé de 87 ans.
Sa victoire est toujours contestée par M. Kamto, son challenger, qui avait lancé des manifestations pacifiques après le scrutin avant d'être emprisonné durant neuf mois puis libéré sous la pression internationale.
Assez effacé depuis sa sortie de prison en octobre, il semble avoir repris du poil de la bête depuis le début de l'épidémie au Cameroun mi-mars.Aidé involontairement par un chef de l'Etat étrangement absent qui a attendu plus de deux mois avant de prendre la parole publiquement à la télévision sur le coronavirus.
Fin mars, M. Kamto lui lance un ultimatum, exigeant qu'il s'adresse aux Camerounais avant sept jours. "Dans le contexte actuel d'un grave danger pour la Nation, son silence n'est pas seulement irresponsable, il devient criminel", tacle l'opposant.
Trois semaines plus tard, il annonce même avoir lancé un processus pour faire constater la vacance du pouvoir.Dans la foulée, M. Kamto lance une opération baptisée Survie-Cameroon Survival Initiative (SCSI) de collecte de fonds pour la lutte contre le coronavirus.
Cela "a provoqué une crispation au gouvernement qui y a vu l'affirmation de la défaillance du système de riposte nationale", commente M. Tchokonte.
Car la gestion de la crise par Yaoundé est assaillie de critiques.
- "Régler ses comptes" -
Dès lors, le pouvoir fait tout pour empêcher l'initiative. Depuis début mai, une dizaine de bénévoles de SCSI ont été interpellés parce qu'ils distribuaient, "illégalement" selon la police, des masques et du gel hydroalcoolique.
Le pouvoir avait déjà empêché la collecte de fonds qualifiée aussi d'"illégale" en ordonnant fin avril aux opérateurs de téléphonie mobile de fermer les comptes récepteurs des dons.Et la police judiciaire a ouvert une enquête notamment pour "blanchiment d'argent" visant deux proches de M. Kamto responsables de SCSI.
"Le parti au pouvoir au Cameroun utilise la pandémie pour régler des comptes et sanctionner l'opposition", dénonce alors l'organisation internationale Human Rights Watch (HRW).
Le Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC) de M. Kamto "mène des actions confuses qui le mettent dans le piège de la politisation" de la lutte contre le coronavirus, argumente un responsable du parti au pouvoir, le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), Jean-Baptiste Atemengue.
"Celui qui a construit son illégitimité, c'est M. Biya lui-même", rétorque Olivier Bibou Nissack, porte-parole de M. Kamto, s'offusquant de la "criminalisation d'une action humanitaire d'assistance à personnes en danger".
Selon M. Tchokonte, l'initiative SCSI de M. Kamto "n'est pas neutre puisqu'elle s'inscrit nécessairement dans un contexte de crise" post-électorale.
Pour le politologue, "la survie ou la continuité du régime dépend de sa capacité à maîtriser ou à neutraliser le MRC: c'est la raison pour laquelle, chaque fois que le MRC prend une initiative, systématiquement, le gouvernement réagit".
- "Union sacrée" -
D'autres partis d'opposition ont lancé des actions contre le coronavirus, sans être ciblés par le pouvoir.
Après plus de deux mois de silence, Paul Biya s'est finalement adressé à son peuple dans un discours télévisé le 19 mai, appelant à l'"union sacrée" face au coronavirus.
Au même moment, M. Kamto s'exprimait lui aussi face caméra en direct sur sa page Facebook, pour dénoncer "les assauts barbares et répétés du régime en place" contre son initiative.
Dans les prochaines semaines, "il est difficile de faire le pari d'une accalmie", estime M. Tchokonte.
Au moment où le Cameroun "rentre dans une phase compliquée de la pandémie", selon les mots du ministre de la Santé Malachie Manaouda, le gouvernement a décidé d'alléger les mesures de restrictions concernant la fermeture des frontières, des restaurants et bars, et les écoles doivent également rouvrir lundi.
Ces décisions font déjà grincer des dents une partie de l'opinion publique et de l'opposition, M. Kamto dénonçant "une gestion catastrophique" de la crise.
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