Des manifestations sont prévues dans quelques villes congolaises, dont Bukavu le fief du docteur Mukgwege, pour les 10 ans de cette enquête des Nations unies sur "les violations les plus graves des droits de l'homme" en RDC (ex-Zaïre) entre 1993 et 2003.
Le rapport proposait entre autres "l'instauration d'un tribunal international pénal pour la République démocratique du Congo", rappelle le docteur Mukwege dans une tribune publiée par le journal français Le Monde daté de jeudi.
"Nous déplorons qu'aucune initiative ne soit concrétisée à ce jour pour appliquer ces recommandations", ajoute-t-il dans cette tribune co-signée avec l'ancienne procureur général du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie et pour le Rwanda, Louise Arbour.
La justice est indispensable "pour briser le cycle des violences et de l'instabilité", avance le gynécologue congolais.
Plus de 1.300 personnes ont encore été tuées au cours du premier semestre 2020 dans les trois provinces de l'Est (Ituri, Nord et Sud Kivu), rappelle-t-il en citant les Nations unies.
Le docteur Mukwege regrette que d'anciens miliciens aient été intégrés dans les forces régulières au fil des programmes de démobilisations des groupes armés.
"Des promotions ont été accordées à ceux qui devaient répondre de leurs actes devant la justice nationale ou internationale".
Le débat est d'une actualité brûlante.Le président Félix Tshisekedi tend la main aux groupes armés congolais toujours actifs dans les trois provinces de l'Est.
Certains ont répondu à son appel, moyennant un "cahier des charges" qui demande souvent l'amnistie et l'intégration de leurs combattants dans l'armée régulière.
"On ne peut pas continuer à récompenser les tueurs.Il ne faut pas récompenser le crime (...) Il faut qu'il y ait une forme de justice", estime la représentante des Nations unies en RDC, l'Algérienne Leïla Zerrougui.
Enfoui depuis dix ans dans les tiroirs, le rapport des Nations unies est devenu l'arme de guerre du gynécologue Denis Mukwege dans son combat contre l'impunité dans son pays.
- "Tués dans leur lit" -
Cette enquête des Nations unies "a répertorié 617 incidents violents qui pourraient être qualifiés de +crimes de guerre+, de +crimes contre l'humanité+ voire de +crimes dé génocide si les faits étaient portés à la connaissance d'un tribunal compétent", rappelle-t-il.
Le célèbre gynécologue a lui-même la voix nouée quand il évoque le massacre d'une trentaine de patients dans l'hôpital de Lemera près de Bukavu le 6 octobre 1996.
"Tous ceux qui n'ont pas pu se sauver ont été tués dans leur lit.Les infirmiers qui n'ont pas pu quitter Lemera ont été aussi tués", témoigne-t-il dans une vidéo 23 ans après les faits.
Ce massacre a lancé l'un des conflits les plus meurtriers au monde depuis la deuxième guerre mondiale.
Une ONG américaine, International Rescue Committee, a avancé le chiffre controversé de 5,4 millions de morts entre 1998 et 2007.
Un bilan contesté par les démographes mais qui a marqué l'esprit de nombreux Congolais, persuadés que les conflits dans l'Est ont fait "six millions de morts".
Le rapport cite les auteurs présumés de chaque crimes.Ils se trouvent parmi tous les acteurs congolais et étrangers impliqués dans les deux guerres du Congo (1996-98, puis 1998-2003).
Il y a la rébellion congolaise des AFDL de Laurent-Désiré Kabila, qui prend le pouvoir en mai 1997 en renversant les forces régulières en débandade du vieux maréchal Mobutu.
Il y a les alliés de l'AFDL, l'Ouganda de Yoweri Museveni et le Rwanda de Paul Kagame, deux leaders toujours au pouvoir en 2020.
Après un retournement d'alliance en août 1998, le Rwanda et l'Ouganda ont continué à contrôler l'Est de la RDC, soit directement, soit par milices interposées.
A sa publication il y a 10 ans, le rapport des Nations unies avait été dénoncé avec virulence par le Rwanda et l'Ouganda.
La position de Kigali n'a guère changé."On ne peut pas partir d’un projet de rapport contesté comme celui-ci pour lancer un tribunal pénal international", a déclaré le ministre rwandais des Affaires étrangères Vincent Biruta, dans un entretien à Jeune Afrique mercredi.
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