Ces décennies de manipulations et d'exactions contre la majorité noire en Afrique du sud restent douloureuses et s'invitent régulièrement dans le débat: le sentiment anti-vaccin, alimenté aussi par le même populisme qu'ailleurs, y prend amplement racine.
Ce scepticisme flambe depuis que le pays le plus touché du continent africain se démène pour procurer des vaccins à sa population, suscitant un déluge de théories du complot, des plus classiques aux plus farfelues.
A White City, un quartier de Soweto dont les maisons identiques rappellent l'existence d'une ancienne caserne, chacun avance ses réticences."J'ai vu que des gens s'étaient fait piquer et sont morts", assure Tshegofatso Mdluli, 22 ans, deux dents en or illuminant son sourire.
"Et si on nous refilait un vaccin de troisième zone ?", interroge d'un air soupçonneux Mbali Tshabalala, 35 ans, devant sa modeste maison."Il se passe quoi s'il arrive en Afrique et qu'il ne convient pas à notre constitution...Ah j'en perds le sommeil", peste la jeune femme ronde.
Mythes et rumeurs "s'ancrent dans des angoisses bien réelles", qui viennent elles-mêmes "d'expériences très concrètes", décrypte la professeur de santé publique Helen Schneider, rappelant le projet secret d'injections des années 1980 pour freiner la fertilité des populations noires.
Son concepteur, Wouter Basson surnommé "Docteur la Mort", a encore suscité une polémique le mois dernier, lorsqu'a été révélé qu'il pratiquait encore dans deux cliniques du pays.
Des soupçons du même type avaient émergé dans les années 2000 autour des traitements du sida."La fin de l'apartheid était si proche, vous imaginez bien comme le parallèle était facile...Encore une invention des Blancs pour dominer, contrôler", raconte Eric Goemaere de Médecins sans frontières, qui a participé à cette campagne dans un grand township du Cap.
- "détruire les Africains" -
Les pouvoirs publics ont tenté de contrer les soupçons, bien avant l'arrivée des premiers vaccins lundi à Johannesburg."Les fausses informations mettent des vies en danger", a mis en garde en janvier l'Oncle Cyril (Ramaphosa), surnom du président, appelant à "bâtir la confiance".
"Ne croyez pas tout ce que vous lisez dans vos messages WhatsApp", a insisté la biologiste Koleka Mlisana lors d'un point-presse virtuel la semaine dernière.
"Pas de micro-puces ou de traqueurs dissimulés dans les fioles", "aucun vaccin ne peut modifier votre ADN", a-t-elle listé, affirmant aussi que le coronavirus ne visait pas à "détruire les Africains", regardez donc les chiffres des Etats-Unis, de l'Europe...
Seuls 51% des Sud-Africains se disaient prêts en janvier à se vacciner, selon un sondage Ipsos. Une autre enquête de l'Université de Johannesburg avance qu'ils seraient jusqu'à 67% et met en avant que parmi les sceptiques, seuls 10% évoquent des théories du complot.
"Ils jouent un rôle bien sûr, mais il existe des raisons plus profondes qui occupent moins de place dans les médias", fait valoir Sarah Cooper du Conseil de la recherche médicale sud-africaine.
Comme lors du sida, des figures publiques donnent de leur personne pour rassurer.Le pasteur Desmond Tutu, figure de la lutte anti-apartheid, et d'autres ont annoncé leur intention de se faire piquer.
Mais "l'information venue d'en haut passe mal", constate Mocke Jansen Van Veuren, organisateur d'un atelier de sensibilisation au Covid dans le quartier déshérité de Kliptown à Soweto. "Le gouvernement n'est pas une source fiable, malheureusement.Il nous ment tout le temps".
L'ombre du régime raciste de l'apartheid, officiellement tombé en 1994, plane encore."Les noirs, les métis, on reste traumatisés", interrompt un jeune homme, lors d'un atelier organisé un samedi pluvieux récent, "et le gouvernement n'en tient pas compte".
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