Les âpres montagnes de Bisesero, dans l'ouest du Rwanda, furent un des lieux martyrs du génocide des Tutsi orchestré par le régime extrémiste hutu: 50.000 morts estimés (sur plus de 800.000 morts entre avril et juillet 1994, selon l'ONU).
Depuis 2005, six rescapés de Bisesero, l'association Survie, la Fédération internationale des droits de l'Homme (FIDH) et d'autres parties civiles accusent la force Turquoise d'avoir sciemment abandonné aux génocidaires des centaines de Tutsi à Bisesero du 27 au 30 juin 1994.Le parquet de Paris a requis un non-lieu général, a appris lundi l'AFP de sources proches du dossier.
Le 22 juin 1994, l'ONU autorise une opération militaro-humanitaire française, Turquoise, qui vise notamment à "faire cesser les massacres" et "contribuer à la protection des civils en danger" au Rwanda.Elle mobilise 2.500 soldats jusqu'au 22 août 1994.
La politique de la France au Rwanda entre 1990 et 1994, menée par un président et son entourage "aveuglés idéologiquement", a constitué une "faillite" et elle porte des responsabilités "accablantes" dans le génocide, selon le rapport de la commission française Duclert rendu public fin mars.
Si la commission Duclert relève que dans l'action de Turquoise, "l'effort de protection des Tutsi menacés est réel et se compte en milliers de personnes extraites de situations dangereuses", elle décrit un enchaînement de "logiques françaises à Bisesero", un "problème de renseignement".
- "Chasse aux Tutsi" -
Les historiens publient dans leur rapport le compte rendu édifiant du lieutenant-colonel Duval de ses observations faites le 27 juin, mais envoyé deux jours plus tard, d'une rencontre dans le secteur de Bisesero avec "une centaine de Tutsi réfugiés dans la montagne".
"Ils se sont présentés spontanément sur la piste en voyant les véhicules militaires.Ils seraient environ 2.000 cachés dans les bois.D'après eux la chasse aux Tutsi a lieu tous les jours, menée par des éléments de l'armée, gendarmerie, milices encadrant la population.Ils nous ont montré des cadavres de la veille et du jour même, dont un enfant blessé", écrit-il.
"Ils sont dans un état de dénuement nutritionnel, sanitaire et médical certain (...) Ils espéraient notre protection immédiate ou leur transfert en un lieu protégé", souligne l'officier, ajoutant avoir "pu simplement leur promettre que nous reviendrions les voir et que l'aide humanitaire arriverait bientôt".
"Il y a là une situation d'urgence qui débouchera sur une extermination si une structure humanitaire n'est pas rapidement mise en place ou tout au moins des moyens pour arrêter ces chasses à l'homme", prévient-il.
La commission d'historiens constate des délais importants dans la prise en compte des informations remontant du terrain et note que si Turquoise commence avec des consignes très strictes de neutralité vis-à-vis des belligérants, "la première source de menace qui est identifiée est néanmoins celle que constituerait le FPR" (rébellion tutsi du Front patriotique rwandais qui mit fin au génocide, NDLR).
- Vidéo embarrassante -
Selon le rapport, "le drame humain de Bisesero et l'échec profond qu'il constitue pour la France ne résultent pas seulement de responsabilités de terrain mais découlent en grande partie de la volonté de maintenir un équilibre entre les parties, de la crainte qu'ont les forces françaises de se trouver confrontées au FPR".
Fin mars, l'ex-commandant de Turquoise, le général Jean-Claude Lafourcade, s'est félicité de ce que le rapport "rejette toute complicité de génocide" et "montre sans ambiguïté la compétence professionnelle et les qualités humaines et morales de nos soldats confrontés à une situation dramatique et extrêmement complexe".
En octobre 2018, le site d'investigation Mediapart avait publié une vidéo embarrassante pour l'armée française.
Ces images filmées le 28 juin 1994 montrent le chef des opérations spéciales au Rwanda, le colonel Jacques Rosier, en conversation avec l'un de ses subordonnés, qui l'informe de tueries perpétrées contre des Tutsi à Bisesero la veille."Il y a eu des battues toute la journée.Dans les collines, des maisons qui flambaient de partout, des mecs qui se trimballaient avec des morceaux de chair arrachée".
Le sergent-chef M. révèle à son supérieur, en le regardant très attentivement, que le guide de l'armée française était probablement un génocidaire hutu: "On a évité un lynchage parce que le guide qui nous accompagnait, manifestement, c'était un des gars qui guidaient les milices dans les jours qui ont précédé".
Malgré ce récit, le colonel écoute d'un air distant, sans réagir.
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