L'Erythrée, acteur clé de la crise au Tigré

Infos. L'Erythrée, Etat autocratique qui borde au nord la région éthiopienne du Tigré, a joué un rôle clé dans l'opération militaire lancée début novembre par Addis Abeba contre les autorités tigréennes dissidentes.

L'Erythrée, acteur clé de la crise au Tigré

Ses troupes ont visiblement eu un rôle prépondérant dans les combats et sont accusées d'avoir perpétré des massacres de civils, parmi les pires atrocités recensées à ce jour, selon des rapports d'ONG et des témoignages de survivants.

L'Erythrée est l'ennemie jurée du Front de libération du peuple du Tigré (TPLF), le parti qui a dominé la vie politique éthiopienne pendant plus de 25 ans avant de tomber en disgrâce avec l'accession du Premier ministre Abiy Ahmed au pouvoir en 2018.

- L'animosité Erythrée/Tigré -

Les dirigeants actuels de l'Erythrée et du TPLF n'ont pas toujours été ennemis.

En 1991, alors que l'Erythrée est encore une province éthiopienne, une coalition emmenée par le TPLF renverse le régime du dictateur Mengistu Hailemariam et prend le pouvoir à Addis Abeba avec le soutien déterminant de rebelles indépendantistes érythréens.

En retour, les rebelles obtiennent du nouveau régime éthiopien, dominé par le TPLF, l'organisation d'un référendum d'autodétermination sur l'indépendance de l'Erythrée.

L'Erythrée obtient son indépendance en 1993, privant l'Ethiopie de sa façade maritime.

Mais les relations se détériorent progressivement: les deux voisins sont en désaccord sur des questions monétaires, commerciales et revendiquent chacun des territoires frontaliers.

En mai 1998, la guerre éclate entre Asmara et Addis Abeba.Elle fera quelque 80.000 morts.Les hostilités prennent fin en décembre 2000 mais le différend territorial n'est pas résolu et un conflit larvé persiste entre les deux pays pendant de longues années.

- Rapprochement Ethiopie/Erythrée -

L'arrivée au pouvoir d'Abiy Ahmed en 2018 marque un spectaculaire tournant dans les relations entre Addis Abeba et Asmara.

S'il a grimpé les échelons au sein du régime en place depuis 1991, Abiy Ahmed n'est pas un Tigréen, mais un Oromo, l'ethnie la plus nombreuse du pays, dont la jeunesse s'est mobilisée contre le pouvoir.

Ce grand mouvement de protestation, rejoint par les Amhara, la deuxième ethnie du pays, contraint la coalition à désigner Abiy Ahmed à sa tête.

En juin 2018, M. Abiy, qui a amorcé un train de réformes sans précédent, annonce vouloir régler le litige frontalier avec l'Erythrée et courant juillet, le Premier ministre éthiopien et le président érythréen Issaias Afeworki signent une déclaration mettant fin à l'état de guerre.

Ce rapprochement, qui vaudra notamment à M. Abiy le prix Nobel de la paix en 2019, place les autorités du TPLF dans une posture délicate.

D'un côté, le Premier ministre éthiopien a entrepris de marginaliser les élites tigréennes qu'il perçoit comme les principaux obstacles à ses réformes.

Cette marginalisation incite les responsables tigréens à se retrancher dans leur fief et à poursuivre un agenda d'autodétermination du Tigré.

Et de l'autre côté de la frontière, à portée de canon, le régime autoritaire d'Issaias Afeworki est désormais un allié de M. Abiy.

- L'implication de l'Erythrée au Tigré -

Longtemps démentie par Addis Abeba et Asmara, la présence des troupes érythréennes au Tigré a été officiellement reconnue par M. Abiy mardi devant le Parlement.Cette présence avait été déjà attestée par de multiples acteurs, survivants, ONG et diplomates.

Il ressort de ces témoignages que les troupes érythréennes ont joué un rôle majeur dans les opérations militaires et qu'elles sont citées dans plusieurs massacres, comme dans la ville d'Aksoum ou le village de Dengolat. 

Vendredi, le Premier ministre éthiopien a annoncé que ces troupes allaient quitter le Tigré, à l'issue d'une rencontre avec M. Issaias à Asmara.

Pour Roland Marchal, chercheur au Centre de recherches internationales à Sciences Po, les Erythréens ont très certainement "rapatrié de force des réfugiés érythréens qui, pour eux, ont toujours été de près ou de loin une menace possible".

Le Tigré abritait avant le conflit près de 100.000 d'Erythréens ayant fui le régime autoritaire d'Asmara.Les camps de réfugiés d'Hitsats et Shimelba ont été "totalement détruits", selon l'ONU.

Plus généralement, le chercheur français estime que l'Erythrée est venue "régler des comptes": "Il y a quand même le sentiment, quand on voit ce qu'ils font au Tigré, d'une punition collective".

Mais aussi de réduire à néant ce que le régime percevait comme une menace existentielle, à savoir les ambitions de création d'un Etat tigréen indépendant. 

"Il y avait aussi cette peur-là", estime le chercheur, pour qui les Erythréens sont intervenus au Tigré pour "régler toute une série de ce qu'il pensent être des défis historiques en massacrant des populations civiles".

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