Dans les brousses du Nord et du centre du Mali, les soldats français de l'opération Barkhane, qui a pris en 2014 la relève de Serval déployée l'année précédente, opéraient jusqu'alors dans une large mesure main dans la main avec les soldats maliens.
C'était le cas en particulier lors d'opérations de plusieurs semaines engageant des milliers d'hommes, de Barkhane, de l'armée malienne ou de l'armée nationale selon le théâtre, et de la force régionale du G5 Sahel, contre les groupes armés affiliés à Al-Qaïda ou à l'organisation Etat islamique.
Ces opérations ne se traduisaient pas forcément par de lourdes pertes dans les rangs jihadistes.Mais elles permettaient de "mettre un coup de pied dans la fourmilière et de désorganiser l'ennemi qui doit bouger et prête alors le flanc" à des actions ciblées, explique une source militaire malienne.
La coopération allait bien au-delà, avec le soutien aérien à une armée malienne cruellement dépourvue, l'échange de renseignement et l'entraînement et le conseil, avec l'objectif constamment rappelé par Paris de faire monter en puissance l'armée malienne pour qu'elle puisse assumer seule la sécurité du pays.
Depuis jeudi soir, de grande lignes de cette coopération sont remises en cause, pour la première fois de manière aussi nette en huit années de collaboration.
- large dépendance -
Dix jours après un deuxième putsch en neuf mois, qui a fait du colonel Assimi Goïta le chef de cet Etat crucial pour la stabilité au Sahel, Paris a annoncé jeudi soir suspendre les opérations conjointes avec les forces maliennes.
Concrètement, les soldats de Barkhane "ne sortent plus de leurs bases" dans le Nord du Mali, dit un diplomate français à Bamako.
Les activités de la Task Force Takuba, composée d'unités de forces spéciales européennes et censée aider l'armée malienne à s'aguerrir, sont suspendues, a indiqué à l'AFP l'état-major français.Idem pour la coopération avec les éléments maliens de la force du G5 Sahel, et les actions de formation des soldats maliens, au tir ou à la lutte contre les mines artisanales.
Les soldats maliens, notoirement mal formés et mal équipés, dépendent largement des partenaires du Mali pour tenir des camps isolés dans un vaste pays.Des centaines d'entre eux ont été tués dans les offensives éclairs des jihadistes.
Au quotidien, le soutien français se traduit, dans les domaines logistique, par l'escorte aux relèves ou l'approvisionnement en eau, et militaire, par l'appui lors d'attaques et l'évacuation des blessés.
Sans la France, les opérations maliennes seront vraisemblablement "extrêmement réduites: protection de base, patrouilles en périphérie immédiate des camps, convoi logistique", dit Raphaël Bernard, ancien officier de Barkhane, "ils savent que c'est compliqué de manœuvrer contre les GAT (groupes armés terroristes) loin de leurs bases sans Barkhane ou Takuba".
- groupes insurrectionnels renforcés?-
En décembre, les soldats du camp isolé de Boulkessi avaient sollicité l'appui terrestre et aérien de Barkhane afin d'être relevés.
Dorénavant, ce soutien ne sera plus automatique et le soutien français dans des circonstances particulières sera examiné au cas par cas, dit un responsable français sous le couvert de l'anonymat.
Les mesures sont "temporaires" dans l'attente de "garanties" de la part des colonels maliens qu'ils rendront le pouvoir aux civils après des élections prévues en février 2022, a dit le ministère français des Armées.
Le chercheur malien Boubacar Ba envisage que, dans le camp des jihadistes, l'espace ouvert "donne des ailes aux groupes insurrectionnels qui se sentiraient renforcés par les différentes crises répétitives à Bamako et un éventuel abandon temporaire ou définitif de l'appui des forces Barkhane et Takuba".
L'hypothèse d'un retrait définitif de la France paraît pour l'heure "improbable", estime un ancien haut fonctionnaire retraité malien pour qui "l'annonce française est un message clair et direct" à l'adresse des militaires maliens pour obtenir des garanties.
Celles-ci, avance un chercheur sous couvert d'anonymat, pourraient porter autant sur la nomination d'un Premier ministre civil, qui semble acquise, que sur les décisions politiques bamakoises.
Les Français chercheraient à faire "pression pour que soit mis un terme à tout processus de négociation avec les jihadistes" et pour que la nomination pressentie de Choguel Kokalla Maïga au poste de Premier ministre "ne signifie pas le retour de (l'imam) Dicko", dit-il.
Mahmoud Dicko, imam au coeur de la lutte contre l'ancien président Ibrahim Boubacar Keïta, n'a jamais caché sa volonté d'engager un dialogue avec les jihadistes pour le retour de la stabilité au Mali.MM.Maïga et Dicko sont réputés proches.
"L'annonce française pourrait permettre de clarifier les choses", d'un côté comme de l'autre sur "les réelles volontés de chacun", dit le haut fonctionnaire retraité.
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