L'intellectuel camerounais est connu et reconnu.En Afrique et bien au-delà.Le professeur Mbembe, 63 ans, qui enseigne l'histoire et la politique à la prestigieuse université Witwatersrand de Johannesburg, est une des voix fortes des faits et méfaits du colonialisme.
Il n'y a pas si longtemps, c'est lui qui reprochait à Emmanuel Macron une "absence d'imagination historique" dans sa politique africaine, l'accusant d'ignorer "la vertigineuse perte d'influence" de la France en se contentant de mener des "opérations marketing" sur le continent.
Pourtant, il a accepté la tâche controversée confiée par le chef d'Etat de préparer les débats du prochain sommet Afrique-France, prévu à Montpellier (sud), critiqué à chaque édition par une grande part de l'intelligentsia africaine pour être une expression surannée de la "Françafrique".
Depuis près de quatre mois, M. Mbembe organise des débats à travers douze pays africains, une soixantaine en tout sont prévus, en "présentiel" quand c'est possible ou en ligne.
Abordant l'intervention militaire française, la francophonie, l'avenir du franc CFA ou encore la gouvernance des ressources naturelles, il interroge la société civile sur la place de la France en Afrique.
"Les grandes questions qui fâchent", résume lors d'un entretien à l'AFP l'auteur de "Critique de la raison nègre".
"Le président Macron m'a demandé de l'accompagner dans l'objectif qu'il s'est fixé de refonder les rapports entre l'Afrique et la France", dit-il d'une voix posée."Pourquoi dire non?"
Déjà reporté deux fois à cause du Covid, le sommet aura un format inédit: aucun chef d'Etat, une rencontre entre représentants de la société civile.
- Relation "endommagée" -
"Après trois mois et demi d'écoute, je crois que la principale question qui se pose a trait à ce que la jeune génération d'Africains perçoit comme le soutien de la France à des tyrannies", pointe M. Mbembe.
Le soutien à la junte militaire au Tchad ou la présence française au Mali sont les sujets récents qui suscitent beaucoup de passion au sein de l'opinion africaine et un fort sentiment anti-français, dépeint l'intellectuel.
"Beaucoup estiment que le moment est venu de mettre fin à ce genre d'attitude, d'investir dans les institutions, au lieu de penser que la stabilité et la sécurité seront maintenues par des hommes forts", décrit-il.
Est-ce qu'un 29e sommet réussira à révolutionner des pratiques héritées de l'époque coloniale?
"Ca ne va pas se faire du jour au lendemain", admet Achille Mbembe.Mais Montpellier pourrait être "le premier moment d'une très longue étape, sur une ou deux générations", pour dépoussiérer une relation "endommagée".
Quant à l'éventuel enjeu électoral pour M. Macron, qui ouvrira le sommet à un peu plus de six mois de la présidentielle en France, "ça ne me concerne pas", coupe-t-il court.
"Son engagement africain n'a pas commencé à la veille des élections", dit-il du chef d'Etat de retour d'un voyage historique au Rwanda, où il a reconnu les responsabilités de la France dans le génocide des Tutsi de 1994.
Balayant d'un geste toute idée de manipulation, il réplique: "On n'écrit pas l'histoire uniquement par le soupçon (...) Il faut se mettre en jeu".
Quand "Nelson Mandela négocie avec le régime de l'apartheid, personne ne s'attend à ce que ça marche", rappelle-t-il. "C'est comme ça que l'histoire se fait, c'est pas de la sorcellerie".
Mbembe aurait-il été "mieux placé à conseiller les siens" pour "sortir de la postcolonie que de conseiller le maître de la postcolonie" ?, comme le suggère l'écrivain camerounais Gaston Kelman, qui lui reproche sa "naïveté".L'écrivain sénégalais Boubacar Boris Diop trouve aussi que sa mission relève de la "mauvaise plaisanterie".
Mais l'intéressé ignore ces critiques pour relever le défi.Avec un "comité Mbembe" composé d'intellectuels, d'artistes ou d'économistes, chargés d'articuler des propositions concrètes: "Ce ne sera pas que des idées", assure le philosophe.
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