Au nord et au sud du lac Kivu, dans l'est de la RDC, tout comme sur les autres lacs et les cours d'eau de cet immense pays d'Afrique centrale, c'est un ballet quotidien d'embarcations de bois transportant personnes et marchandises, souvent au mépris des règles de sécurité, pourtant connues de tous les armateurs.
"Tout s'est bien passé", se félicite un lundi matin, au port Kituku de Goma, Jeannine Mutangi, venue de la presqu'île de Buzi-Bulenga."Mais dimanche dernier on a chaviré, il y a eu des morts", dit-elle.
Avec une météo changeante, des pluies et des orages violents, des vagues qui viennent frapper la coque des longues pirogues à moteur surchargées, les naufrages sont fréquents, les bilans humains et matériels lourds.
Dans son petit bureau proche du "beach Muhanzi" de Bukavu, où arrivent les pirogues appelées "boats", le "commissaire lacustre" Dido Balume Munihire énumère pour l'AFP les mesures de sécurité édictées par les autorités, parmi lesquelles l'"interdiction pour les embarcations en bois de naviguer pendant la nuit - parce qu'elles n'ont pas de feux de signalisation" et le "port obligatoire de gilets de sauvetage".
- Moins cher -
Mais dans les pirogues chargées de denrées venues des villages bordant le lac, long de près de 90 km, et de la grande île d'Idjwi située en son centre, les gilets orange sont très rares.
Et les armateurs expliquent sans crainte qu'ils ont navigué à partir de 22H00 pour pouvoir décharger leur cargaison à 06H00 ou 07H00 le lendemain et approvisionner les marchés des capitales provinciales en fruits, légumes, fretins, poulets et dindons, charbon de bois et matériaux divers.
"Un gilet, ça coûte 25 dollars, j'en ai commandé 20", déclare Mapendano Fandiri, 38 ans, armateur à Idjwi."Mais on ne peut pas répercuter le prix des gilets sur le prix du transport, les gens ne veulent pas payer plus cher", ajoute-t-il.
Selon le trajet, les traversées coûtent de 3.000 à 6.000 francs congolais (1,5 à 3 dollars) par personne, chaque colis étant également facturé selon son poids et sa taille, de 1.000 à 3.000 francs environ (0,5 à 1,5 dollars).
"C'est moins cher qu'en bateau, mais de toutes façons il n'y a pas de bateau, alors on n'a pas le choix!", constate Jean Hazihishe, 44 ans, venu faire des courses à Goma depuis le territoire de Kalehe, où un naufrage avait fait une centaine de morts en avril 2019.
Le président Félix Tshisekedi, qui s'était rendu auprès de familles endeuillées, "avait promis des bateaux", mais il n'y en a toujours pas, déplore le père de famille.Le chef de l'État avait aussi annoncé la réhabilitation de quatre ports sur les rives du lac.C'est en cours, les travaux ont commencé à Kalehe, se félicitaient récemment les autorités provinciales.
- Guerre des services -
Mais le commissaire Dido semble convaincu que "les populations riveraines ne veulent pas voyager en bateau", question de prix et d'habitude.Tout comme, selon lui, elles sont récalcitrantes au port du gilet.
"Nous faisons des campagnes de sensibilisation, mais rien n'y fait", déplore-t-il."Nous voulons passer maintenant à une vitesse supérieure, nous allons saisir les parquets, porter plainte contre les armateurs qui ne veulent pas obtempérer".
Pourtant, les services et autorités sont nombreux à se disputer les contrôles, entre police lacustre, force navale, direction des migrations, agence nationale de renseignements, etc.
Certains habitués de la bruyante cohue du matin à Bukavu ont compté "jusqu'à 23 services" qui "tracassent" plus ou moins les armateurs, voyageurs et commerçants, alors qu'il ne devrait pas y en avoir plus de quatre ou cinq.
"Nous sommes en difficulté, car il arrive un moment où un autre service handicape notre mission", estime sous couvert d'anonymat un officier de la police lacustre, constatant impuissant cette guerre des services préjudiciable à l'application de la loi.
Sans parler du bakchich qui permet de fermer les yeux sur le poids des chargements, la navigation de nuit et l'absence de gilets de sauvetage.
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