Claude Muhayimana, 60 ans, vêtu d'un jean et d'une veste de cuir, un sac à dos sur l'épaule, est resté bras croisés sur une chaise durant toute l'audience.Il a répondu avec une voix assurée aux questions du président lui demandant de décliner son identité.
M. Muhayimana était en 1994 chauffeur de l'hôtel Guest House à Kibuye, sur les rives du lac Kivu.
Il est accusé de "complicité" de génocide et de crimes contre l'humanité pour avoir "aidé et assisté sciemment" des miliciens en assurant à plusieurs reprises leur transport sur les lieux de massacres dans la préfecture de Kibuye, les collines de Karongi, Gitwa et Bisesero (ouest), où des dizaines de milliers de personnes ont été exterminées dans des conditions effroyables.
Ces miliciens, armés de machettes, gourdins, houes et appelés "Interahamwe" ("ceux qui travaillent ensemble" en kinyarwanda) ont été les principaux bras armés du génocide contre la minorité tutsie, orchestré par le régime extrémiste hutu et qui a fait plus de 800.000 morts d'avril à juillet 1994.
M. Muhayimana, qui encourt la réclusion criminelle à perpétuité, est réfugié en France, dont il a obtenu la nationalité en 2010.Cantonnier à la mairie, il vit à Rouen (nord-ouest).Il y avait été arrêté en 2014, un an après l'ouverture d'une enquête initiée par une plainte du Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR), qui lutte contre l'impunité et la présence en France de présumés génocidaires rwandais.
Le procès qui s'est ouvert devant la cour d'assises de Paris, après dix ans de procédure et deux reports à cause de la crise sanitaire, durera près d'un mois, avec l'audition d'une cinquantaine de témoins, dont une quinzaine viendront du Rwanda.
Sa singularité est qu'il juge un citoyen ordinaire, et non une personnalité ayant eu des fonctions politiques, administratives ou militaires pendant les tueries. Les deux précédents procès ont vu la condamnation à perpétuité de deux anciens bourgmestres et à 25 ans de prison d'un ex-capitaine de l'armée.
"On a affaire à un homme ordinaire, un Monsieur tout le monde, qui n'avait aucune autorité civile, militaire ou religieuse et qui a été placé dans le chaos que l'on connaît", a déclaré à la presse l'un des avocats de l'accusé, Philippe Meilhac, avant l'ouverture du procès.
"Il aura l'occasion de s'expliquer longuement.Nous comptons bien le faire acquitter complètement, il est innocent de ce qu'on lui reproche", a martelé Me Meilhac.
- "Maillons du mécanisme" -
Pour sa part, Alain Gauthier, cofondateur du CPCR, se "refuse" à "parler de gros ou de petit poisson"."On est dans le cas d'un génocide, on ne parle pas de petit poisson".
"Tous les maillons du mécanisme de la chaîne qui ont conduit au génocide sont importants; il n'y avait plus d'échelons" dans ce contexte, a lancé de son côté avant l'audience Richard Gisagara, avocat de l'une des parties civiles aux côtés du CPCR.
Les prises de parole de l'accusé, resté très discret, sont très attendues.L'enquête a évoqué une personnalité ambigüe, des témoins attestant qu'il a sauvé des Tutsi en les cachant chez lui ou en les aidant à fuir.
Les débats se concentreront sur le fait que l'accusé nie avoir été présent sur les lieux de massacres et sur les contradictions entre ses déclarations et celles de témoins, notamment son ex-épouse.Il a aussi menti et tenté de faire pression sur des témoins, selon l'accusation.
"Il y a des dizaines de témoignages concordants sur son transport sur les lieux de massacres", note Alexandre Kiabski, avocat du CPCR.
La défense, elle, pointe les contradictions et les lacunes des témoignages, et soulèvera également l'argument de la contrainte.
"Ce n'est pas impossible qu'il ait été forcé (à transporter les miliciens, NDLR); mais même si c'est vrai, il avait le choix de prendre la fuite", estime M. Gauthier."On ne va pas sur les lieux d'un crime gratuitement".
Mardi, l'audience sera consacrée à l'interrogatoire de personnalité de l'accusé.
Ce procès a lieu dans le contexte inédit du rapprochement diplomatique spectaculaire du printemps dernier entre la France et le Rwanda, après des années de très vives tensions et la publication fin mars en France d'un retentissant rapport d'historiens ayant conclu que la France portait des "responsabilités accablantes" dans le génocide des Tutsi.
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