Petit, costaud, vêtu d'un sweat-shirt et d'un jean, le Franco-rwandais de 60 ans s'exprime dans un bon français, même si certaines des questions du président lui sont traduites en kinyarwanda.
Poursuivi devant la justice française pour complicité de génocide et de crimes contre l'humanité lors de l'extermination des Tutsi du Rwanda en 1994, Claude Muhayimana colle sans difficulté à l'image de "Monsieur tout le monde", de "citoyen ordinaire qui s'est retrouvé dans le chaos" défendue par ses avocats.
"Je suis un simple chauffeur", répète mardi à la barre cet ancien conducteur employé par un hôtel touristique d'Etat à Kibuye (ouest du Rwanda) en 1994.
Accusé d'avoir transporté les tueurs hutu sur des lieux de massacres de Tutsi à Kibuye lors des mois sanglants d'avril à juillet 1994, Claude Muhayimana a affirmé durant l'enquête avoir été absent de la ville lors de grands massacres en avril, dans une école, une église, un hôtel et un stade où s'étaient réfugiés des dizaines de milliers de Tutsi.
Ce mardi, il n'est pas encore interrogé sur les faits, mais le président Jean-Marc Lavergne veut comprendre quelle connaissance il avait du génocide et de sa planification.
"C'est pas facile mais je vais essayer de répondre.Comment vous voyez un simple chauffeur comme moi mettre en oeuvre un plan concerté ? Ce n'est pas possible, je n'avais pas autorité", répond l'accusé, qui ne nie pas le génocide des Tutsi.Tués pour quelles raisons ? lui demande le président."Je ne sais pas du tout"."A cause des politiciens".
S'ensuit un dialogue confus entre le président et l'accusé sur le contexte politique de l'époque et les causes ayant conduit à l'élimination de plus de 800.000 personnes, essentiellement issues de la minorité tutsi, en trois mois en 1994.
"J'ai vu des miliciens s'entraîner devant chez moi.Mais je ne sais pas s'il y a eu des réunions entre eux.Je suis un simple chauffeur", insiste une nouvelle fois M. Muhayimana.
- "Une vie calme" -
Claude Muhayimana est né en janvier 1961 à Kibuye, d'un couple mixte, une mère tutsi et un père hutu, ce qui fait de lui un Hutu.Elevé dans une famille d'agriculteurs "très croyante", très proche de sa mère, il est le second d'une fratrie de trois, qui vivent toujours au Rwanda.
Il a quitté le foyer à l'adolescence pour aller vivre dans une congrégation religieuse auprès d'une missionnaire belge avant de devenir chauffeur en 1986.Il épouse en 1990 Médiatrice Muzengeyesu, une Tutsi, avec qui il aura deux filles."Nous avons été heureux", a-t-il dit à l'enquêtrice de personnalité Sophie Gelly qui l'a interrogé lors de sa détention provisoire après sa mise en examen en 2014.
Pourtant, relève cette dernière, de nombreux témoins ont fait état de fortes tensions dans le couple, qui a divorcé au début des années 2000, et certains évoquent même une "animosité" de l'ex-épouse à l'égard de M. Muhayimana.
Le témoignage de Mme Muzengeyesu, prévu dans quelques jours, pourrait s'avérer essentiel pour faire la lumière sur les faits reprochés à l'accusé.
Après le génocide, ce dernier, se disant menacé par les nouvelles autorités rwandaises, a fui au Zaïre en 1995, vécu en exil en Kenya, avant d'arriver en France en 2001, dont il obtiendra la nationalité en 2010.
Depuis 2007, il est employé à la mairie de Rouen.Décrit par des témoins comme "droit, sincère, investi et croyant", "c'est un homme sociable, qui mène une vie calme avec peu de loisirs", et un employé "ponctuel et sérieux", relève l'enquêtrice de personnalité.
Intégré en France, il n'a pour autant pas coupé les liens avec le Rwanda et la diaspora, et est proche d'un parti d'opposition, le Rwandan national Congress (RNC).
"Certaines zones d'ombres perdurent", ajoute-t-elle cependant, notamment sur l'état de ses biens au Rwanda et sur ses relations avec son ex-épouse.
L'interrogatoire de personnalité de l'accusé, qui encourt la perpétuité, devait se poursuivre mardi après-midi.
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