Claude Muhayimana, qui était en 1994 chauffeur et employé d'un hôtel à Kibuye (ouest du Rwanda), est jugé depuis lundi à Paris pour "complicité" de génocide et de crimes contre l'humanité durant le génocide ayant visé la minorité tutsi, orchestré par le régime extrémiste hutu et qui a fait plus de 800.000 morts d'avril à juillet 1994.
Il est accusé d'avoir "aidé et assisté sciemment" des militaires et des miliciens en assurant à plusieurs reprises leur transport sur des lieux de massacres.
Après le génocide, M. Muhayimana, qui est d'origine hutu, se disant menacé par les nouvelles autorités rwandaises, a fui au Zaïre en 1995, vécu en exil en Kenya, avant d'arriver en France en 2001.
Dans sa demande d'asile politique, il a affirmé avoir été menacé au Rwanda pour avoir travaillé avec les troupes françaises de l'opération controversée militaro-humanitaire Turquoise, lancée par la France - sous mandat de l'ONU - en juin 1994 et visant à "faire cesser les massacres". Sa demande d'asile fut rejetée et il obtiendra finalement la nationalité française en 2010.
Mardi, dans son interrogatoire de personnalité devant la cour, il a réitéré avoir été arrêté plusieurs fois après le génocide par les nouvelles autorités du Front patriotique rwandais (FPR, à majorité tutsi, qui a mis fin au génocide et au pouvoir à Kigali depuis 1994) et maltraité à cause de son travail "avec les Français".
- Une audition très attendue -
Il a affirmé avoir collaboré en tant que "guide" avec l'armée française, notamment pour leur indiquer des itinéraires et la topographie des lieux. "Tout le temps, on est parti chercher des rescapés dans les paroisses et d'autres secteurs", a-t-il ajouté.
Jeudi soir, l'audition du général Patrice Sartre, 74 ans, commandant du RICM (régiment d'infanterie chars de marine) au sein de Turquoise et présent au Rwanda du 22 juin à fin août 1994, était très attendue et a duré plusieurs heures.
L'officier à la retraite, costume cravate noir et stylo à la main, a confirmé avoir été contacté il y a plus de 15 ans par M. Muhayimana, qui se disait "menacé d'être renvoyé au Rwanda".
"Lors de l'opération Turquoise, M. Muhayimana avait fait partie des Rwandais qui ont collaboré avec l'armée française, autant que je puisse m'en remémorer", a déclaré le général.
"Je n'avais pas de souvenir de M. Muhayimana comme ça, sauf sa tête; c'était quelqu'un que je me rappelais avoir vu", a-t-il indiqué, ajoutant: "je pense qu'il a été employé au tout début de notre présence, quand nous savons eu besoin de relai pour faire arrêter les massacres" et "quand nous avons fait la tournée des églises".
"J'ai le souvenir que M. Muhayimana a fait partie de cette démarche", a-t-il dit.
"Pour ce qui de (l'emploi de M. Muhayimana comme) chauffeur, je l'ai envisagé, mais je n'ai pas pu l'établir", a poursuivi le général, ajoutant également qu'il "était tout à fait envisageable dans les dix jours qui ont suivi notre arrivée" que M. Muhayimana "nous ai guidés vers des survivants", mais qu'il n'en avait "pas de souvenir personnel".
Après un premier courrier de Claude Muhiyamana lui demandant d'appuyer sa demande d'asile, le général Sartre a écrit en mars 2004 au directeur de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofprah) puis en 2006 à un préfet, précisant que les faits reprochés aujourd'hui à l'accusé lui étaient "alors inconnus".
Le général a reconnu ne pas avoir vérifié la "réalité des menaces" au Rwanda contre M. Muhayimana."Mais compte tenu de l'hostilité manifestée par la France à l'égard du FPR avant, pendant et après le génocide, le risque était tout à fait envisageable".
"Il me semblait que c'était un devoir que quelqu'un ne risque pas sa vie parce qu'il nous avait servi (...) Je ne me suis pas intéressé à son destin...peut-être ai je eu tort au vu ce qu'il se passe aujourd'hui", a-t-il lancé à propos de l'accusé, qui est resté impassible dans la salle d'audience.
Le général a décrit sa mission au Rwanda comme "l'un des moments les plus difficiles de (sa) vie"."Ce que j'ai vécu au Rwanda est quelque chose d'épouvantable, parce que nous avons tout d'un coup découvert que des gens dans lesquels nous avions confiance, le gouvernement du Rwanda et la communauté hutu qui le soutenait, avaient massacré une autre partie de la population qui à aucun instant ne s'est trouvée dans une situation de se défendre".
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