Sous état d'urgence, la capitale éthiopienne à cran

Infos. Depuis mardi, le téléphone de Bisrat n'a cessé de sonner, lui donnant des nouvelles d'autres Tigréens pris dans des arrestations liées à l'état d'urgence décrété par le gouvernement, après le récent regain des combats dans le nord du pays.

Sous état d'urgence, la capitale éthiopienne à cran
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Addis Abeba (AFP)

La police a d'abord arrêté son ancien partenaire d'affaires dans un magasin du centre de la capitale Addis Abeba.Puis ce fut le tour de son oncle et de son beau-frère

Au total, le jeune homme, qui ne souhaite pas donner son nom complet, dit connaître personnellement 15 personnes originaires comme lui du Tigré - région du nord du pays où a débuté un conflit meurtrier il y a un an - qui ont été arrêtées cette semaine.

Selon des avocats, des milliers de Tigréens sont détenus depuis l'annonce mardi de l'état d'urgence dans l'ensemble du pays, destiné selon le gouvernement à protéger les citoyens contre les rebelles du Front de libération du peuple du Tigré (TPLF).

Cette mesure, dénoncée par les groupes de défense des droits, a fait monter la tension, notamment parmi les Tigréens, tandis que le TPLF et ses alliés menacent de marcher sur la capitale. 

Bisrat a supprimé toutes les chansons en langue tigrinya et toutes les photos du drapeau tigréen de son téléphone.En public, il ne parle plus qu'amharique.

"C'est comme si nous n'avions plus d'air pour respirer", explique-t-il. 

- Fouilles d'appartements -

Le gouvernement a annoncé l'état d'urgence, après que le TPLF a revendiqué la prise de deux villes situées à environ 400 kilomètres au nord d'Addis Abeba.

Le lendemain, les rebelles ont affirmé  avoir atteint Kemissie, 80 kilomètres plus au sud, où ils ont rejoint des combattants de l'Armée de libération oromo (OLA), groupe armé de l'ethnie oromo avec lequel ils se sont alliés.

Le gouvernement affirme, lui, que le TPLF est "encerclé" et proche de la défaite. 

Les communications sont coupées dans une grande partie du nord de l'Ethiopie et l'accès des journalistes est restreint, rendant difficile de vérifier à quelle distance de la capitale se trouvent les rebelles. 

Addis Abeba ne semblait pas céder à la panique vendredi, mais les forces de sécurité y paraissaient nerveuses, conduisant des recherches poussées à travers la ville. 

Une centaine d'officiers de police ont investi vendredi matin un immeuble de standing du centre d'Addis Abeba, réclamant les pièces d'identité des occupants et fouillant chaque appartement à la recherche d'armes. 

La municipalité a appelé cette semaine les habitants à s'organiser pour défendre leur quartier mais a aussi lancé un processus d'enregistrement de toutes les armes à feu. 

Jeudi, un journaliste de l'AFP a vu des dizaines de personnes - dont beaucoup semblaient travailler pour des sociétés de sécurité - patienter devant un commissariat pour enregistrer des kalashnikovs. 

- Dénonciations -

Amnesty International s'est inquiété que les appels aux civils à prendre les armes puissent alimenter de nouvelles exactions. 

L'ONG dénonce également l'état d'urgence comme un "plan d'escalade des violations des droits humains".

Ces mesures permettent aux autorités de détenir sans mandat toute personne soupçonnée de soutenir des "groupes terroristes", de suspendre les médias qui "apportent un soutien moral directement ou indirectement" au TPLF et d'enrôler "tout citoyen en âge de combattre qui a des armes".

Déclenchée en novembre 2020, le conflit a connu ces derniers mois un spectaculaire revirement.

Abiy Ahmed, prix Nobel de la paix 2019, avait proclamé la victoire le 28 novembre après avoir envoyé l'armée au Tigré pour destituer les autorités dissidentes issues du TPLF, qu'il accusait d'avoir attaqué des bases militaires fédérales. 

Mais en juin, les partisans du TPLF ont repris l'essentiel de la région, puis ont poursuivi leur offensive dans les régions de l'Afar et de l'Amhara.

Des Tigréens ont confié à l'AFP être de plus en plus inquiets pour leur sécurité, redoutant que des amis ou des voisins les dénoncent aux forces de sécurité en raison de leur appartenance ethnique. 

Le gouvernement répète depuis longtemps que ces dernières ne traquent que les membres du TPLF et leurs partisans. 

Pour Bisrat, tous les Tigréens sont désormais suspects. 

Il y a quelques jours, à bord d'un taxi collectif, il raconte avoir entendu un autre passager se vanter au téléphone d'avoir dénoncé à la police des voisins tigréens, qui ont été "capturés".

"Il était content quand il a dit ça", témoigne-t-il: "Il rigolait".

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