L'enfance volée des métis du Congo au coeur d'un procès en Belgique

Infos. "On nous a volé notre jeunesse!".Cinq femmes métisses arrachées à leurs mères noires au Congo il y a environ 70 ans, attaquent jeudi l'Etat belge en justice, pour "crimes contre l'humanité", une qualification rare pour des faits commis sous l'ère coloniale.

L'enfance volée des métis du Congo au coeur d'un procès en Belgique
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Bruxelles (AFP)

Une demi-journée de plaidoiries est prévue à partir de 9H00 (07H00 GMT) devant un tribunal civil de Bruxelles.Le jugement ne devrait pas être rendu avant plusieurs semaines.

L'Etat belge conteste les faits et la qualification qui a été retenue par les plaignantes.Les "crimes contre l'humanité" sont imprescriptibles en droit belge, comme les crimes de génocide et crimes de guerre.

Ces cinq femmes, quatre Belges et une Française, aujourd'hui âgées de 71 à 78 ans, estiment qu'elles ont été victimes, après leur naissance, d'un enlèvement et d'un placement "forcé" auprès d'une institution religieuse à Katende, dans le sud de l'actuelle République démocratique du Congo (RDC).

Pour leurs avocats, cette pratique relève du "racisme institutionnel" qui était en vigueur sous l'administration belge à l'égard des enfants métis, nés de l'union entre une congolaise noire et un Blanc.

La plupart de ces enfants n'étaient pas reconnus par leur père et ne devaient se mêler ni aux Blancs, ni aux Africains.

Conséquence pour beaucoup: la mise sous tutelle de l'Etat et le placement en orphelinat moyennant le versement de subventions à ces institutions, généralement gérées par l'Eglise catholique.

- "Un deuxième abandon" -

"A l'école, on nous traitait de +café au lait+.Nous n'étions pas acceptés", s'est souvenue l'une des plaignantes, Simone Ngalula, lors d'un entretien avec l'AFP en septembre 2020.

"On nous appelait +les enfants du péché+.Un Blanc ne pouvait pas épouser une Noire", a raconté Léa Tavares Mujinga, enlevée à l'âge de 2 ans dans les années 1940.

A leurs yeux, les excuses formulées en 2019 au nom de l'Etat par le Premier ministre belge doivent être suivies de réparations.Charles Michel, désormais président du Conseil européen, avait alors reconnu "une ségrégation ciblée", et déploré des "pertes d'identité" avec la séparation des fratries, y compris au moment des rapatriements en Belgique après l'indépendance du Congo en 1960.

"On a occulté tout ça pour pouvoir survivre", a confié Mme Tavares Mujinga, né d'un père portugais qu'elle n'a revu qu'à 14 ans.

"On nous a détruites.Les excuses, c'est facile, mais quand on pose un acte il faut l'assumer", a renchéri Monique Bitu Bingi, lors d'une conférence de presse avec les quatre autres plaignantes avant le procès.

Elle a dénoncé "un deuxième abandon", lorsqu'après l'indépendance, ces fillettes n'ont pas pu monter dans les camions de l'ONU pour être rapatriées avec les Occidentaux.

- Le précédent australien -

L'autorité du nouveau pouvoir congolais était contestée, des heurts ont éclaté, certaines disent avoir été victimes d'abus sexuels de la part des rebelles. 

Toutes réclament aujourd'hui à la justice belge "une somme provisionnelle de 50.000 euros" et la nomination d'un expert pour évaluer leur préjudice moral.

"Notre propos n'est pas de dire que la colonisation a été un crime contre l'humanité", assure leur avocate, Michèle Hirsch, mais l'Etat belge doit "assumer sa faute" à l'égard de ces femmes.

L'avocate intervient au côté de Christophe Marchand, qui défend la famille de l'ex-Premier ministre congolais assassiné Patrice Lumumba, dans une autre procédure encore en cours à Bruxelles.

Ils citent en exemple les dédommagements promis par les autorités canadienne et australienne pour réparer le placement forcé, pendant des décennies, des enfants autochtones dans des pensionnats ou des familles blanches.

En août, l'Australie avait annoncé le versement d'une indemnisation de 75.000 dollars - soit près de 47.000 euros - à de nombreux aborigènes retirés de force à leur famille lorsqu'ils étaient enfants.Après les excuses, il s'agit de passer des "paroles" aux "actes", avait dit en substance le Premier ministre Scott Morrison, décrivant ces politiques officielles d'assimilation comme une période "honteuse" de l'histoire du pays.

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