Dès jeudi soir, la nuée de turbans immaculés - qui remplacent pour l'occasion les turbans de brousse - a souri, dansé, couru à dos de chameaux.Les festivités de la "Cure salée", du nom d'une tradition d'éleveurs amenant paître leurs troupeaux dans cette région saline à la fin de la saison des pluies, doivent se clôturer dimanche.
Banwo Marafa, 46 ans, a laissé son bazin bleu pour en arborer un autre plus large, violet mat, surmonté d'un long turban blanc autour du crâne.De son visage on ne voit plus que ses yeux ronds et parfois, dessous, des traits qui se creusent quand il sourit.
"Tous les ans on vient, on retrouve des éleveurs de Zinder, de Tahoua, de Tilia, de partout au Niger.On se connait depuis longtemps, on se retrouve chaque année avec la musique et les danses, c'est une grande fête!", explique-t-il.
"Surtout que ça a été annulé l'an passé avec le Covid, donc il y a plus de monde encore", ajoute-t-il.
Plus loin, son neveu et une cinquantaine d'autres jeunes, tous des hommes, dansent en cercle dans le sable.Ils chantent l'amour et la réunion en langue peul.D'autres regardent, le sabre traditionnel à la ceinture.Les femmes sont plus loin.D'autres festivités réuniront les deux sexes plus tard ce week-end.
Partout dans les regroupements, une énergie de fête plane.Mais quand on s'assied sous les tentes et parle sérieusement, les visages se referment vite: ces rires et ces chants ne sont qu'une parenthèse dans le quotidien bien morne de ces éleveurs peuls et touaregs, nomades de l'éternel entre les différents points d'eau du Sahel et du Sahara.
Ceux-là se raréfient.Aussi, "avant on était libres, on menait nos troupeaux partout", explique le chef de village de Foudou, Assamou Malam."Mais depuis cinquante ans les problèmes s'accumulent: manque de travail, problèmes fonciers, beaucoup d'injustice..."
- "Etre armés" -
Au Niger, pays classé dernier au monde en terme d'indice de développement humain (IDH), les nomades sont - comme ailleurs au Sahel - les laissés-pour-compte des politiques publiques depuis l'indépendance en 1960.
Après plusieurs rebellions touaregs au Mali et au Niger, les nomades sahéliens ont été les premiers embrigadés par les groupes jihadistes, Al-Qaïda et Etat islamique.
Implantés au Mali, au Burkina Faso et dans les régions nigériennes avoisinantes à celle d'Agadez, ces groupes ne le sont pas encore ici.
Mais cet immense nord désertique du Niger, déjà terre de trafics et de migrations illégales, "est perçu par les terroristes comme le territoire qu'ils ont vocation à occuper désormais de façon progressive", a prévenu vendredi le président nigérien Mohamed Bazoum, en ouverture d'un forum de discussions entre l'Etat et les chefs coutumiers dépositaires de l'autorité morale dans les brousses.
Il faut se préparer, selon lui, à "être armés pour faire face aux prétentions de ces deux groupes".
A la tribune, le général Mahamadou Abou Tarka, à la tête d'une puissante structure, la Haute autorité à la consolidation de la paix, a mis en garde contre "les petits conflits" entre les communautés qui débouchent sur des violences à grande échelle.
- Bombino et tentes Quechua -
Loin du bâtiment abritant le forum, la Cure salée a pourtant des airs d'un festival comme les autres.A la différence près qu'il se déroule au milieu du Sahara : il y a les tentes de camping Quechua des éleveurs (préférées aux tentes traditionnelles le temps du festival), un groupe de touristes d'un tour-opérator russe, le concert de la star touareg Bombino accompagnés de ses riffs écoutés sur tous les Whatsapp sahariens...
Ici, un jeune a installé une sono et fait danser ceux qui passent.Là, un groupe de peuls wodaabe s'est regroupé autour d'un des leurs qui se fait maquiller pour une cérémonie.
"Mais c'était mieux avant", regrette un autre chef de groupement en pestant, anonymement, contre "l'utilisation politique" par les autorités du festival."A l'origine c'est un évènement de nomades pour les nomades, on faisait la fête simplement".
A la Cure salée 2021, les stands d'ONG s'alignent, des blindés gardent l'entrée du carré VIP et un drone de surveillance, sans doute sorti de la base aérienne américaine toute proche, traverse le ciel bleu d'Ingall.
De toutes les personnes interrogées par l'AFP, seul le président Bazoum a explicitement évoqué la possible extension jihadiste dans cette région.Reste que chacun y fait référence en filigrane.
"On ne doit pas attendre que le feu soit là pour l'éteindre", a métaphoriquement résumé le président du Conseil régional d'Agadez, Mohamed Anacko.
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