Sa silhouette trapue, son crâne chauve et son visage rond orné d'une fine moustache sont bien connus en Ethiopie.
Il y a trente ans, en 1991, il menait déjà les combattants du Front de libération du peuple du Tigré (TPLF) vers Addis Abeba, une marche qui avait conduit à la chute de l'autocrate Mengistu Hailemariam.
Il a été le chef d'état-major de l'armée éthiopienne durant la décennie qui a suivi, marquée par une sanglante guerre frontalière contre l'Erythrée (1998-2000).
Pour de nombreux observateurs, il ne fait guère de doute que ce militaire réputé fin stratège, qui approche les 70 ans, est derrière l'avancée des combattants du TPLF ces derniers mois.
En juin, les rebelles ont repris la majeure partie du Tigré, qu'ils avaient cédé fin novembre à l'armée envoyée dans la région trois semaines plus tôt pour renverser les autorités régionales dissidentes, issues du TPLF.
Ils ont ensuite avancé en direction de la capitale, dans les régions de l'Afar et de l'Amhara où le front s'est récemment stabilisé.
- "Formé sur le tas" -
Rien ne prédisposait Tsadkan Gebre-Tensae à une carrière militaire.
Ce fils de paysan du sud du Tigré a arrêté ses études de sciences à l'université d'Addis Abeba pour rejoindre le TPLF quelques mois après sa création en février 1975.Le TPLF n'était alors qu'un groupuscule armé prônant l'autodétermination du Tigré au sein d'une Éthiopie unifiée.
"Militairement, il s'est formé sur le tas, et il a grimpé tous les échelons", souligne l'historien René Lefort, qui l'a rencontré à plusieurs reprises et loue "son intelligence, sa rigueur, son pragmatisme" et son "calme d'acier".
Après la chute de Mengistu, l'armée est démantelée.Tsadkan est chargé de la reconstituer.
"Il en a fait une armée qui aurait pu être une armée occidentale.Il a fait des réformes axées notamment sur le recrutement et la formation.Pour lui, une armée, c'est avant tout des hommes", souligne Gérard Prunier, ancien chercheur au CNRS qui connaît Tsadkan depuis la fin des années 1990.
Comme le pouvoir politique, l'armée est largement dominée par les Tigréens.
Chef d'état-major, il mènera la guerre contre l'Erythrée.En 2000, avec d'autres généraux, il recommande de pénétrer en Erythrée pour y poursuivre l'armée adverse, ce à quoi le Premier ministre Meles Zenawi s'oppose.
- Homme d'affaires -
Cet épisode viendra alimenter les tensions croissantes avec Meles, qui le limogera en 2001.
Marginalisé au sein du TPLF, Tsadkan se lance dans les affaires, crée une brasserie et une entreprise d'horticulture au Tigré.
Il siègera également aux conseils d'administration de grandes compagnies éthiopiennes (Ethiopian Shipping Lines, Lion Bank...), sera consultant auprès du jeune gouvernement sud-soudanais pour la formation de son armée, et passera un master en politique internationale à l'université américaine George Washington.
En 2019, il fait partie d'une tentative de médiation entre le TPLF et le Premier ministre Abiy Ahmed.Depuis sa nomination un an plus tôt, Abiy a écarté les Tigréens du pouvoir, suscitant rancoeurs et tensions.
"J'ai rencontré trois fois Abiy Ahmed (...) et il est devenu évident qu'il ne voulait pas d'une solution pacifique", racontait-il dans une interview à une chaîne tigréenne début juin.
Un conflit paraissant inévitable et se sentant menacé à Addis Abeba, il retourne à Mekele courant 2020.
"C'est un septuagénaire aisé, qui aurait pu vivre confortablement où bon lui semblait.Le fait qu'il ait décidé d'affronter la tempête qui se préparait avec son peuple est honorable", estime Awet Weldemichael, spécialiste de la Corne de l'Afrique à l'université canadienne de Queen's.
- Stratégie similaire -
"Ce n'est pas un idéologue, mais c'est quelqu'un qui a des convictions", souligne René Lefort.
Lors de l'offensive de l'armée en novembre 2020, les combattants du TPLF se replient dans les montagnes.
"La doctrine numéro un du TPLF, c'est +on ne mène jamais un combat qu'on ne peut pas gagner+", explique René Lefort: "On attend, on rassemble ses forces, on crée l'environnement militaire nécessaire et on passe à l'attaque.Si on est devant une force nettement supérieure, on recule, quitte à abandonner une ville".
Sous la direction de Tsadkan, qui a intégré le "Commandement central" qui mène l'insurrection, les rebelles recrutent alors massivement, forment de nouveaux combattants et récupèrent également les soldats et officiers tigréens écartés de l'armée fédérale.
Puis lancent une offensive sept mois plus tard, qui les mènera à près de 200 kilomètres d'Addis Abeba.
Alors que le gouvernement revendique ces derniers jours avoir repris du terrain, le TPLF affirme avoir opéré des retraits stratégiques pour se réorganiser.
S'ouvre une nouvelle phase d'incertitude, dans laquelle Tsadkan Gebre-Tensae jouera une nouvelle fois un rôle-clé.
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