"La crise a tué l'école", déplore Isaac Bissong, directeur de l'unique collège encore ouvert, interrogé par l'AFP.En 2016, environ 600 élèves y étaient scolarisés, contre 69 aujourd'hui.
Dans une salle de classe, seuls huit collégiens sont présents.De nombreuses tables sont vacantes, le silence règne dans les couloirs de l'établissement."Il y a beaucoup d'élèves qui sont partis de ce quartier pour étudier ailleurs car ils ont peur", constate-t-il, navré.
Le drapeau vert-rouge-jaune du Cameroun n'est pas hissé dans la cour de l'établissement, comme dans les autres écoles du pays."Cela risquerait de nous attirer des ennuis", raconte M. Bissong.
Le collège est situé à moins de 3 km de Muea, l'un des fiefs des séparatistes, théâtre de nombreux affrontements.Le directeur, qui assure lui-même la sécurité du collège mais sans aucune arme, patiente sur une chaise à côté de l'entrée de l'établissement.Une maigre protection alors que les attaques armées contre les écoles se multiplient dans les régions anglophones.
- "Illettrée" -
Les séparatistes anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest attaquent régulièrement des écoles auxquelles ils reprochent d'enseigner en français, et tuent des fonctionnaires, dont des enseignants, qu'ils accusent de "collaborer" avec le pouvoir central de Yaoundé.
Le pays, majoritairement francophone, est dirigé d'une main de fer par le président Paul Biya, 88 ans, dont 39 ans au pouvoir.Le conflit a fait plus de 3.500 morts et forcé plus de 700.000 personnes à fuir leur domicile.Selon l'Unicef, en 2019, quelque 850.000 enfants étaient privés d'école dans les régions anglophones.
En novembre 2020, une dizaine d'hommes avaient pris d'assaut l'école bilingue Mother Francisca International Bilingual Academy de Kumba, dans le Sud-Ouest, et ouvert le feu sur des élèves, tuant sept enfants âgés de 9 à 12 ans.Une douzaine d'autres avaient été blessés par balle ou à coup de machette.
Le 24 novembre, quatre élèves et une enseignante ont été tués à la suite de l'attaque d'un lycée par des hommes armés, toujours dans la région du Sud-Ouest.
"Des enfants meurent, des enseignants aussi pour avoir procuré une éducation que ces gens en armes ne veulent pas, estimant qu'elle n'est pas bonne pour leur région", déplore à l'AFP Jan Egeland, secrétaire général de l'ONG Conseil norvégien pour les réfugiés (NRC), en visite à Buéa.
"C'est une génération d'enfants qui est en passe de devenir illettrée, faute d'être allée à l'école", craint-il.
Dans les rues du centre-ville de Buéa, de nombreux militaires en armes patrouillent.
Winifred est enseignante dans une établissement public du quartier.
"La sécurité est garantie à l'école, mais ce n'est pas le cas chez nous, les séparatistes peuvent nous enlever alors que nous ne faisons que notre travail", soupire-t-elle."Mais nous ne voulons pas abandonner ces enfants à la maison à cause de cette crise".
- "Enfants traumatisés" -
"Je m'inquiète très souvent quand mes enfants sont à l'école", raconte Blaise Chamango, un parent d'élèves à Buéa."Avant de les laisser à l'école le matin, je prie".
Même constat pour Manu Dao."Quand on envoie nos enfants étudier, on peut recevoir des menaces.Je suis triste parce que leur avenir est compromis", relate-t-il. "On a peur d'envoyer nos enfants à l'école".
De nombreuses familles ont fui les violences des zones anglophones depuis le début du conflit.A Souza, dans la région du Littoral, voisine du Sud-Ouest, une école accueille cette année 596 enfants anglophones déplacés, sur un total de 1.087 élèves.Dans les salles de cours, les élèves s'entassent parfois à 90 par classe.
"Beaucoup d'enfants sont traumatisés.Beaucoup ont vu des gens se faire tuer, leurs parents dans certains cas.Ils pensent, parfois en plein cours, à ce qu'ils ont vécu", explique Joseph Mencheng, un responsable de cette école.
"Je suis partie de mon village parce qu'il y avait la guerre et je n'ai pas pu aller à l'école pendant trois ans", témoigne Stéphanie.La jeune fille de 12 ans, qui devrait normalement être en classe de quatrième, est actuellement en CM2.
Dipanda discute avec trois autres camarades dans une autre salle de classe bondée.Originaire d'un petit village dans le Nord-Ouest, l'élève de 9 ans savoure d'avoir pu reprendre le chemin de l'école, après en avoir été privée "à cause de la guerre", raconte-t-elle.
Envie d'afficher votre publicité ?
Contactez-nousEnvie d'afficher votre publicité ?
Contactez-nous
L'espace des commentaires est ouvert aux inscrits.
Connectez-vous ou créez un compte pour pouvoir commenter cet article.