Pour nourrir sa "grande famille", Nima Sagna, 32 ans, vend un peu de tout à son étal du marché de comestibles de Manjaikunda, près de Banjul, où les commerçants combattent mollement les mouches qui survolent la viande, le poisson frais ou fumé et les oignons.
Les prix pratiqués par ses fournisseurs sont "chers" et "le pays est très dur".Elle a écouté l'appel au "changement" d'Ousainou Darboe, battu au bout du compte par Adama Barrow.
Aussi s'irrite-t-elle quand elle entend à quelques pas qu'Abdou Dicko, 36 ans, a fait la fête jusqu'à 3H00 du matin dans la rue avec des milliers de supporteurs du président sortant, réélu très largement selon les chiffres officiels pour diriger le plus petit pays d'Afrique continentale.
Le vote "n'a pas été juste", lance-t-elle, faisant écho aux adversaires de M. Barrow.A quoi Abdou Dicko réplique, en agitant une espèce de serpillière pour chasser les mouches au-dessus de ses morceaux de boeuf importé du Sénégal, qu'elle "est UDP (le parti de M. Darboe), elle est jalouse".
Lui adhère au discours pro-Barrow qui fait de lui un homme de "paix".La Gambie, territoire de deux millions d'habitants, a connu vingt ans de dictature sous Yahya Jammeh, jusqu'à ce qu'Adama Barrow, promoteur immobilier jusqu'alors quasiment inconnu, remporte la présidentielle en 2016 et que l'autocrate soit contraint à l'exil.
- "La faute" de l'étranger -
La stabilité est un voeu exprimé par de nombreux Gambiens.M. Barrow la revendique, comme la construction de routes et de marchés.Mais il fait face à d'autres attentes.
Les partenaires internationaux poussent à des réformes politiques pour enraciner une démocratie fragile, à commencer par une réforme de la Constitution de 1997, pour limiter le nombre de mandats présidentiels par exemple.
Les victimes de la dictature réclament justice.
De nombreux Gambiens se plaignent de la cherté de la vie, du chômage, du manque d'accès aux soins.Près de la moitié d'entre eux vivent dans la pauvreté et le Covid-19 a porté un coup sévère à une économie tributaire du tourisme.
Au marché de Manjaikunda, Abdou Dicko pense que la cherté de la vie, "ce n'est pas (la) faute" de M. Barrow, mais de l'étranger.Mais lui-même admet que M. Barrow "a beaucoup à faire: le chômage, (le manque d')électricité, les centres de santé, et la paix".En fait, les Gambiens lui ont donné "une seconde chance".
M. Barrow a peu fait pour que le pays surmonte le choc de la pandémie, dit Essai Njie, enseignant de sciences politiques à l'Université de la Gambie.Même avant la pandémie, la croissance "ne s'est pas reflétée sur la vie des Gambiens" et l'accent mis par le président sur la construction d'infrastructures n'a rien fait à l'affaire, dit-il.
Ses adversaires reprochent à M. Barrow non seulement de n'avoir pas entrepris ou mené à bien les réformes indispensables, mais d'être revenu sur ses engagements.
M. Barrow devra décider s'il applique les recommandations d'une commission chargée d'enquêter sur les crimes des années Jammeh.La commission préconise que les responsables soient jugés.Mais les victimes doutent de M. Barrow maintenant que son parti a noué une alliance électorale avec celui de l'ancien dictateur.
- "Rejet caractérisé" -
Cinq ans après la fin de la dictature, la mission d'observation électorale de l'Union européenne a rendu lundi un jugement très contrasté sur l'élection.Elle a salué une campagne avec une véritable compétition et une forte participation, "une avancée démocratique" en somme.
Mais elle a souligné la persistance de "failles critiques, de restrictions et d'incertitudes légales" parce que la Constitution et la loi électorale n'avaient pas été réformées.Elle s'est inquiétée de la "monétisation" de la campagne, autrement dit la distribution de dons, qui a conféré "au sortant un avantage indû".
Trois adversaires de M. Barrow ont contesté les résultats.
Cependant, dit l'expert Njie, les Gambiens n'ont pas tant voté pour Barrow qu'ils ne l'ont fait "suivant leur appartenance ethnique".La victoire de M. Barrow est d'abord "un rejet caractérisé" de M. Darboe, dit-il.
Les Gambiens ont voté à environ 87%.Sur les marches du marché de Manjaikunda, Lamine Njie, menuisier et colosse de 30 ans, est un des rares à ne pas s'être déplacés."Les dirigeants ne font rien et mangent l'argent de leur pays".
Lui, s'il ne travaille pas, il ne mange pas.Quand il travaille et annonce les tarifs de son ouvrage, "les gens me disent: +tu es fou, tu as vu dans quel état est le pays ?+ Les prix sont hors de contrôle"."Demain" il va au Sénégal pour arranger un éventuel départ pour les Etats-Unis.
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