Claude Muhayimana, 60 ans, a fait face lundi à un interrogatoire poussé lors de la quatrième et dernière semaine de ce troisième procès en France lié au génocide des Tutsi, l'une des pires tragédies du 20ème siècle.
L'accusé, d'origine hutu, père de deux filles nées de son mariage avec une femme tutsie (dont il est séparé), est cantonnier à Rouen (nord-ouest de la France).
Il est jugé à Paris pour "complicité" de génocide et de crimes contre l'humanité lors du génocide ayant visé la minorité tutsi, orchestré par le régime extrémiste hutu (plus de 800.000 morts d'avril à juillet 1994).
Le verdict est attendu jeudi.M. Muhayimana, au profil complexe et opaque, encourt la réclusion criminelle à perpétuité.
Alors qu'il était chauffeur d'une guest-house à Kibuye, il est accusé d'avoir "aidé sciemment", entre avril et juillet, des militaires et des miliciens en assurant leur transport sur des lieux théâtre de massacres effroyables, notamment dans les régions de Kibuye et de Bisesero (ouest).
Signe de son inconfort, l'accusé, qui s'exprime pourtant bien en français, s'est majoritairement exprimé en kinyarwanda traduit.
Il est resté combatif et a maintenu sa version, contredite par plusieurs témoins: "réquisitionné" par les autorités génocidaires, il a dû transporter vers le nord du Rwanda le corps d'un gendarme tué dans des combats, s'absentant deux semaines.
Rentré chez lui à Kibuye, il a eu une crise de malaria et est resté chez lui, malade, "sans pouvoir conduire", pendant les semaines où il est accusé d'avoir transporté des miliciens sur les sites de massacres.
- "J'ai eu peur" -
"Depuis des semaines, j'ai entendu beaucoup de gens m'accuser d'avoir participé aux massacres, que des gens m'avaient vu" avec untel ou untel, "c'est des choses qui me sont étrangères", a-t-il martelé.
"Comment expliquez-vous les déclarations des nombreux témoins, ce sont tous des menteurs ?", l'a interpellé le président de la cour, parfois excédé par des contradictions restant inexpliquées par l'accusé.
"Ces témoins accusateurs, ils sont formés pour accuser!", lui a répliqué M. Muhayimana."Les gens qui viennent m'accuser, je ne sais pas pourquoi...c'est leur choix"."Un témoin m'a accusé" par le passé, "puis il m'a demandé pardon et la semaine dernière il m'a accusé encore ici", a-t-il déploré.
Interrogé sur les déclarations de son ex-épouse - qui l'a décrit comme "menteur et manipulateur" et a affirmé qu'il n'avait pas été malade et qu'il sortait souvent - l'accusé a répliqué qu'elle n'avait pas dit la vérité devant la cour.
M. Muyahimana a plaidé la contrainte, affirmant avoir été alors dans une position dangereuse car accusé d'être complice au début du génocide de la rébellion tutsie du Front populaire rwandais (FPR - qui a mis fin au génocide, au pouvoir à Kigali depuis 1994).
"J'ai eu peur d'être exécuté; quand les gendarmes sont venus, je n'ai pas pu refuser de les conduire", a-t-il dit.
L'accusé - qui est membre du Congrès national rwandais (RNC), parti d'opposition au régime de Paul Kagame - a réaffirmé lundi être victime d'une persécution de Kigali."Tout ce qui m'arrive aujourd'hui, c'est dû à mon engagement au sein de l'opposition RNC".
"Le RNC a été fondé en décembre 2010 (...) On a organisé des manifestations à Rouen qui n'ont pas donné une bonne image du gouvernement rwandais", a insisté l'accusé, visé par une plainte du Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR) datant de 2013.
M. Muhayimana a aussi expliqué avoir grandi jusqu'en 1994 "sans distinguer les Hutu et les Tutsi"."Parmi mes amis, 90% étaient des Tutsi", a-t-il affirmé.
Lors des semaines d'auditions de témoins, plusieurs ont attesté que le couple avait caché des Tutsi dans leur maison.
"J'ai pris ce risque pour essayer de sauver des innocents et aujourd'hui je suis devant le tribunal et c'est moi qu'on accuse d'être génocidaire ?", a lancé l'accusé.
La défense entend plaider l'acquittement.
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