Dans le quartier peul du village, ciblé par des hommes se proclamant défenseurs de l'ethnie dogon, les traces du double massacre sont partout.Les ruines des maisons détruites se dressent au milieu des hautes herbes, un pilon à mil en bois calciné porte témoignage des violences de mars 2019 et février 2020.
Des hommes armés sont venus, puis revenus, semer la mort dans l'un des derniers villages de la région où vivent encore des Peuls.Les autres avaient fui les antagonismes anciens liés à la terre entre éleveurs et agriculteurs, ethnies peule, bambara et dogon, laissant derrière eux des villages fantômes.
Le centre du Mali, livré aux exactions des jihadistes, des groupes d'autodéfense, des brigands et même des forces régulières, est l'un des principaux foyers de la violence qui ensanglante le Sahel.
Les forces maliennes mais aussi onusiennes ont été montrées du doigt pour leur incapacité à empêcher à Ogossagou la répétition d'horreurs qui ont frappé les esprits, même dans un pays habitué au pire. Aujourd'hui des soldats maliens et des Casques bleus de la Minusma, cruellement absents en 2020, sont établis entre les quartiers d'Ogossagou-dogon et Ogossagou-peul, distants de quelques dizaines de mètres qui en paraissent des milliers.
Les Peuls, vivant à côté des fosses communes creusées à la hâte, sont constamment brimés par les voisins dogons qui les accusent d'être les complices du groupe jihadiste affilié à Al-Qaïda dans la zone.
- Chien perdu -
Les Peuls ont voulu partir après le deuxième massacre.Mais durant les mois qui ont suivi le 14 février 2020, "l'armée a empêché les gens de fuir, cela aurait été un échec pour l'État qu'il n'y ait plus de Peuls", raconte un humanitaire travaillant dans le village et s'exprimant sous le couvert de l'anonymat pour ne pas compromettre son travail.Des soldats maliens ont aussi été accusés par l'ONU du viol de femmes peules rescapées.
L'année 2020 a été longue pour les Peuls.Aucun ne pouvait sortir du village pour cultiver son champ ou aller au marché.Trop peur de se faire tuer sur la route, malgré l'apparence paisible de la brousse qui entoure le village jusqu'à l'horizon."C'était une prison à ciel ouvert", résume Jens Christensen, directeur régional danois de la Minusma.
La tension était telle qu'en mars, les soldats ont dû intervenir pour séparer Dogons et Peuls quand le chien d'un Dogon est passé d'un quartier à l'autre.
En septembre 2020, Jens Christensen et ses équipes ont entamé une médiation pas à pas, qui a abouti le 8 octobre avec la signature d'un accord.Il engage les habitants d'Ogossagou et de dix villages environnants à poser les bases d'une réconciliation: Peuls et Dogons doivent se visiter mutuellement, accepter la libre circulation, ne pas s'attaquer.
Cet accord a permis "une accalmie mais elle est relative, ça peut +dérouter+ (sortir de la route) à tout moment", dit le capitaine sénégalais André Sébastien Ndione, qui dirige la base de l'ONU.
Les sourires des enfants qui éclairent la torpeur ambiante ne suffisent pas à démentir les profondes fractures subsistantes.
- Premières semailles -
Certes, ce jour-là, représentants dogons et peuls se sont assis à la même table pour accueillir le chef de la Minusma, El-Ghassim Wane.C'était "quelque chose d'inimaginable depuis trois ans", dit Jens Christensen.Des Peuls ont aussi pu planter les premières semences de mil dans leurs champs alentour pour la première fois depuis 2017.
Mais, devant M. Wane, passé les remerciements unanimes à destination de l'ONU, sont réapparues les anciennes rancunes."Non, nous ne serons pas responsables si des gens +d'ailleurs+, et donc non signataires, attaquent de nouveau", dit un leader dogon, tandis qu'un autre, peul, se plaint de ne pas avoir été salué en retour quand il est allé visiter le quartier dogon.
Quelques maisons ont bien été reconstruites par des Peuls dans les villages des environs pour permettre le retour de ceux qui s'étaient réfugiés à Ogossagou par peur d'être attaqués.Mais elles ont tout de suite été brûlées.
La justice pour les massacres, qui n'a pas avancé depuis deux ans, reste la grande absente.
"Si la situation n'est pas encore complètement stabilisée, il est évident qu'elle a beaucoup changé", a plaidé le chef de la Minusma.
M. Wane a décidé de "maintenir pour le moment" la présence d'une base temporaire de l'ONU.Ailleurs au Mali, ces bases ont une présence de quelques semaines ou mois.À Ogossagou, cela fera deux ans en février 2022.
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